dimanche 8 juillet 2007

 

La génétique : un rendez-vous crucial.

Éditorial de Federico Mayor

Septembre 1999

Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/edito/intro.htm

On doit pouvoir compter sur les doigts d’une main les découvertes scientifiques fondamentales, susceptibles de déboucher sur une technologie qui, en fin de compte, ne fut jamais appliquée. Cette leçon de l’histoire nourrit certainement les inquiétudes des responsables politiques, des chercheurs et, au-delà, de l’opinion publique, face aux immenses avancées des biotechnologies.

Les progrès fulgurants de la science permettent de pénétrer au cœur du vivant, en mettant peu à peu au jour les mécanismes essentiels de la vie. Les technologies que ce savoir génère dotent surtout l’humanité, pour la première fois, des pouvoirs vertigineux de transformer les processus de formation et de développement de l’être humain et donc, à terme, de l’espèce humaine. Et il est techniquement vrai que, dans le pire des scénarios heureusement fort improbable, ces transformations pourraient conduire à la résurgence, dans des formes encore plus efficaces, des pires programmes eugénistes de ce siècle, qu’on espérait irrémédiablement enterrés.

Mais l’histoire démontre également que tout aussi rares sont les technologies nouvelles dont l’utilisation ne s’est pas accompagnée de règles, autrement dit d’un encadrement visant à en tirer le meilleur usage et à interdire le pire. Car l’humanité a toujours progressé en étant poussée par les vents de la liberté, y compris celle de chercher et d’entreprendre, mais aussi en se fixant délibérément un cap, pour qu’ils la portent dans la bonne direction et la tiennent à l’écart de limites infranchissables. Les biologistes ont tenu leur rôle: ils ont ensemencé un immense champ de possibilités. C’est désormais aux sociétés de n’aller y moissonner que le bon grain. La révolution des biotechnologies convie l’humanité au rendez-vous crucial de la science et de l’éthique.

Pour celles qui concernent la reproduction humaine, comme pour les technologies en général, le cap à suivre découle du respect de trois principes fondamentaux et interdépendants: la dignité, la liberté et la solidarité.

Pour respecter la dignité humaine, chaque individu doit rester unique. Cette position a des conséquences immenses en matière de procréation humaine. Elle interdit d’abord le clonage à des fins de reproduction, puisque cette technique, imminente, consiste à «dupliquer» génétiquement un être existant.

Plus largement, prédéterminer les caractéristiques fondamentales d’un être à venir, en particulier pour chercher à «améliorer» ses futures capacités physiques ou intellectuelles, est contraire à l’essence même de chaque individu. Cette manipulation aboutirait, en effet, à le priver de ce qui n’appartient qu’à lui seul: l’alchimie mystérieuse qui préside à la naissance de son patrimoine génétique, unique, puis sa propre évolution, unique aussi, en fonction de ce patrimoine de départ et de son environnement.

Les progrès des tests prénataux et des thérapies sur l’embryon peuvent placer les parents face à des décisions aussi nouvelles que graves. Or, le risque existe qu’émergent, formellement ou non, des pressions de toutes sortes, voire même des règles pour que la vie ne soit donnée qu’à celles et ceux qui s’inscriraient dans une sorte de «génétiquement correct». Ce serait totalement inacceptable. Nul pouvoir, qu’il soit politique, moral, voire économique, ne peut prétendre édicter un tel «ordre génétique», encore moins l’imposer.

En conséquence, le principe de solidarité doit être affirmé avec encore plus de force. Il serait inacceptable que les thérapies génétiques dessinent une nouvelle ligne de discrimination entre ceux qui, pour quelque raison que ce soit, pourraient et voudraient en tirer parti, et ceux qui en seraient écartés, le plus souvent faute de moyens.

Le danger d’un génie génétique débridé, non contrôlé, est de plus en plus présent. Mais nous commençons à voir poindre un nouveau type de génie génétique, empreint de responsabilité, une nouvelle discipline dans laquelle le pouvoir de la science est assujetti au pouvoir de l’éthique. Une éthique au profit de tous et non point seulement de quelques-uns, au profit des générations futures et non seulement à court terme.

RD

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Les « gènes » de l’inégalité.

Auteur : Mohamed Larbi Bouguerra, ancien directeur de l’Institut national de la recherche scientifique et technique de Tunisie, auteur de La Recherche contre le tiers monde (PUF, Paris, 1993) et de La Pollution invisible (PUF, Paris, 1997).

Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm


La mise sur le marché de traitements liés aux progrès de la génétique va creuser le fossé qui sépare déjà les habitants de la planète en matière d’accès aux soins.

La médecine du XXIe siècle sera génétique, dit-on. Le déchiffrage de l’ADN dans le cadre du projet international Génome humain devrait engendrer un flux continu d’applications. Elles permettront d’améliorer la condition physique des êtres humains, à un moment où de nombreux experts soutiennent que les soins «conventionnels» ont atteint leurs limites.

Dans les deux prochaines décennies, la thérapie génique, l’immunologie et la culture de cellules souches permettant la production de sang exempt de toute contamination (pour les leucémiques, par exemple) connaîtront sans doute d’énormes progrès. De même, la mise sur le marché d’une batterie de tests prénataux, permettant de déceler les anomalies génétiques des embryons, devrait doper le développement des services de conseil génétique.

La question est de savoir à qui la recherche et ses applications vont bénéficier. Dès les débuts du projet Génome humain en 1990, James D. Watson, l’un des pères de la découverte de la structure en double hélice de l’ADN, avait insisté sur le caractère public de cette formidable entreprise avant d’ajouter: «Les nations de la Terre doivent réaliser que le génome humain appartient aux peuples du monde et non à ses nations».

Si la plupart des découvertes et des nouveaux traitements ont été effectués dans les laboratoires des pays développés, les citoyens du Sud y ont également mis de leur intelligence et de leur labeur. En 1956, l’Indonésien Joe-Hin Tjio a prouvé de façon définitive, en Suède, que les chromosomes humains étaient au nombre de 46. Quant au prix Nobel indien Har Gobind Khorana (1968), il a été le premier à effectuer, aux États-Unis, la synthèse d’un gène. D’autre part, l’analyse de l’ADN de certains peuples indigènes a fourni de précieuses informations génétiques à ceux qui se réservent aujourd’hui la propriété intellectuelle des découvertes qu’ils en ont tirées. Ces études de population ont, entre autres, permis d’identifier les gènes d’un homme de la tribu Hagahai (Papouasie-Nouvelle-Guinée) qui confèrent l’immunité contre le virus HTLV de la leucémie.

Mais faute de volonté politique ou de moyens, de nombreux pays du Sud peinent à se doter d’une véritable politique scientifique qui leur éviterait d’être totalement dépendants des pays développés, et leur permettrait de peser sur les priorités de la recherche. Certains d’entre eux disposent cependant des compétences humaines et du matériel qui leur permettent de participer aux opérations de séquençage de l’ADN. C’est le cas de l’Inde, qui possède six laboratoires de ce type, rattachés au Centre de biologie cellulaire et moléculaire de Hyderabad. Dans ce pays, certains spécialistes auraient préféré séquencer l’ADN d’organismes pathologiques (microbes, moustiques contaminants, etc.) courants en Inde, plutôt que celui d’êtres humains pris au hasard. Il aurait ainsi été plus facile, disent-ils, de mettre au point des applications directement utiles aux citoyens indiens.

Le débat est ouvert car, aujourd’hui, rien ne garantit que l’analyse du génome humain puisse aboutir à la commercialisation de traitements utiles aux populations du Sud, qui représentent des marchés moins solvables que le Nord.

L’autre grande question est celle de l’accès aux thérapies du futur. Même à l’intérieur des États développés, qui tendent à réduire leurs dépenses de santé, ces soins très coûteux – au moins à leurs débuts – pourraient tracer une nouvelle frontière entre les nantis de l’après-génome et les autres. Il y a donc peu de chances que ces traitements atteignent vraiment les populations du tiers monde. Celles-ci sont en tout cas à mille lieues de cette nouvelle vision de la médecine, quand les infrastructures sanitaires les plus élémentaires et le personnel de santé qualifié manquent cruellement.Mettre au point des traitements utiles aux populations du Sud

À supposer que certains pays, ou même des régions entières comme l’Afrique noire, soient exclus des bénéfices de la médecine de demain, doivent-ils pour autant rester absents des débats bioéthiques d’aujourd’hui? La réponse est non. D’abord parce que leurs populations sont parfois concernées au premier chef. L’élimination, par exemple, de certains gènes «nocifs» au moyen des thérapies germinales – si elle était un jour mise en œuvre à l’échelle mondiale – pourrait leur causer de graves préjudices. Pour le comprendre, il faut savoir qu’un seul gène peut agir sur plusieurs caractères (c’est le phénomène de pléiotropie). Ainsi, le gène récessif de la mucoviscidose jouerait un rôle dans la résistance au choléra.

De même, l’anémie falciforme ou drépanocytose (une maladie de l’hémoglobine du sang) procure un certain degré de protection contre la malaria à falciparum – la forme «tueuse» du paludisme. Si on éliminait le gène qui la provoque, ne risquerait-on pas de voir apparaître encore plus de cas de paludisme? Cette perspective semble bien sombre dans un monde où cette maladie fauche déjà deux millions de vie par an, et où aucun grand groupe pharmaceutique ne se décide à investir dans le développement d’un vaccin.

De manière plus générale, la planète entière est concernée dès lors que l’on risque, en manipulant ou en supprimant certains gènes, d’appauvrir les réserves génétiques des générations futures. N’est-il pas présomptueux et dangereux d’anticiper leurs besoins, alors que personne ne sait de quoi leur environnement sera fait?

Enfin, nulle partie de l’humanité ne saurait rester en dehors de débats qui touchent à des questions existentielles, donc universelles par excellence. Or, la bioéthique s’intéresse à la valeur absolue et intrinsèque de chaque individu, à l’essence même de la condition humaine. Les limites qu’elle trace entre le possible et l’acceptable doivent être fixées avec la participation de toutes les cultures du monde, fussent-elles minoritaires ou dominées.

Au-delà, la bioéthique repose de manière urgente le problème de la solidarité des êtres humains devant la maladie. Quand la médecine génétique servira non seulement à soigner les riches mais aussi à améliorer leur confort – voire à prolonger leur vie ou à autoriser la procréation d’enfants dotés de telle ou telle qualité –, pourra-t-on nier aux peuples du Sud les bénéfices d’un savoir qui les libérerait du fléau des maladies parasitaires débilitantes, du sida et des affections héréditaires? Un tel «apartheid sanitaire» sera-t-il longtemps viable et laissera-t-il les consciences indifférentes au Nord?

RD

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Allemagne: le poids du passé en eugénisme.

Auteur : Hartmut Wewetzer, journaliste à Berlin, Allemagne.

Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm


L’idéologie eugéniste du passé nazi pèse de tout son poids sur les lois et les débats concernant les applications de la génétique humaine.

En Allemagne, on emprunte les chemins de la bioéthique sur la pointe des pieds. En 1997, l’annonce de la naissance de Dolly, la brebis clonée, a donné lieu aux spéculations les plus folles dans les médias. Taxé d’immoral, le clonage humain a immédiatement provoqué un véritable tir de barrage de la part de nombreux hommes politiques, chercheurs, représentants des Églises et écologistes. La loi allemande de 1990 sur la protection des embryons l’interdit d’ailleurs formellement.

Comment expliquer cette quasi-unanimité et les réactions à fleur de peau dès que l’on parle biologie, médecine et éthique? Comment comprendre le retard qu’accuse l’Allemagne en matière de «capacité à penser et à juger» ces questions, comme le souligne le bioéthicien Ludger Honnefelder? Il faut se remémorer les horreurs commises par les Nazis au nom de l’eugénisme: ces théories pseudo-scientifiques se sont développées dans les années 30; à partir de 1939, elles ont justifié, entre autres, l’élimination des juifs, des handicapés (100 000 «euthanasiés» en cinq ans) et des Tsiganes.

Au nom de la science et de «la race des seigneurs», des médecins et des généticiens se sont livrés à d’horribles expériences sur des «cobayes humains». «Ce sujet est resté tabou dans la communauté scientifique allemande jusqu’au début des années 80», rappelle Benno Müller-Hill, un généticien de l’Université de Cologne, auteur de Science mortelle (1984). On ne peut pas passer devant cet océan de sang et continuer son chemin comme si de rien n’était.» D’autant que la génétique moderne risque de faire naître de nouvelles formes de «racisme scientifique». Elle pourrait permettre, estime-t-il, de faire le lien entre des gènes influençant certains traits de caractère – comme l’agressivité – et une appartenance ethnique donnée, encourageant ainsi la discrimination.

Le passé national-socialiste pèse aussi sur la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine du Conseil de l’Europe, que l’Allemagne refuse de signer. Pas assez restrictive, jugent de nombreux groupes politiques, religieux, écologistes et les associations de handicapés. Ils craignent, à l’instar du social-démocrate catholique Robert Antretter, «une résurgence du non-respect de la vie, tel qu’il a été pratiqué à l’époque du nazisme». Ils s’élèvent contre les dispositions de ce texte qui permettent, à certaines conditions, d’effectuer des recherches sur des personnes incapables de donner leur consentement (essentiellement les enfants et certains handicapés). Ils déplorent aussi que la recherche sur l’embryon n’y soit pas interdite, comme elle l’est par la loi allemande. Loin de s’atténuer, la résistance prend de l’ampleur au Parlement.«Nous nous complaisons dans des scénarios catastrophes»

En fait, seul le diagnostic prénatal semble échapper à l’anathème général. Les Églises ne le condamnent pas radicalement. Et pour Wolf-Michael Catenhusen, membre du SPD et secrétaire d’État à la Recherche, il importe que les individus concernés puissent décider librement de mettre ou non au monde un enfant handicapé. «Il ne faut pas oublier, précise-t-il, que suite à de tels examens, les appréhensions des parents sont infirmées dans plus de 90% des cas.»

La méfiance «historique» à l’égard de la génétique ne semble pas s’atténuer depuis l’arrivée au pouvoir, en 1998, de la coalition qui regroupe les sociaux-démocrates et les Verts. Ces derniers ont en effet une attitude critique vis-à-vis de la médecine et de la science modernes. «Les progrès de la biomédecine remettent en question l’idée même que l’on se fait de l’humain», estime Monika Knoche, l’experte des Verts en matière de santé.

De leur côté, scientifiques et industriels soulignent que l’Allemagne ne doit pas se laisser distancer par ses concurrents internationaux dans le domaine des nouvelles technologies. «Nous nous complaisons dans des scénarios catastrophes», avait un jour déclaré l’ancien chef de l’État Roman Herzog. Presque toutes les découvertes suscitent maintes interrogations sur les risques et les dangers encourus, mais bien peu sur les chances offertes.» Le génie génétique encore plus que les autres.

RD

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Le clonage humain, bébé controversé de Dolly (Grande-Bretagne).

Auteur : David Dickson, chef des informations de la revue scientifique internationale Nature, auteur du livre The New Politics of Science (University of Chicago Press, 1988).

Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm


L’apparition du clonage humain à l’horizon du possible pose des problèmes inédits. Le débat le plus vif a lieu en Grande-Bretagne, patrie de la brebis clonée Dolly.

Lorsqu’en février 1997, le chercheur britannique Ian Wilmut et ses collègues annoncèrent qu’ils avaient réussi à cloner une brebis, Dolly, le monde entier s’inquiéta de la possibilité d’un clonage humain. Le gouvernement du Royaume-Uni, lui, afficha sa satisfaction: il assura que tout avait été prévu pour maîtriser les conséquences des travaux sur le clonage.

Aux commentaires des dirigeants politiques de toute la planète, qui estimaient nécessaire un moratoire mondial immédiat sur ce type de recherche, la Grande-Bretagne a en effet répondu que, chez elle, le clonage humain (création d’êtres humains adultes copiés sur d’autres) était déjà interdit par une loi adoptée en 1990, l’Human Fertilization and Embryology Act. En fait, cette loi autorise la recherche sur l’embryon humain jusqu’à 14 jours et elle avait semblé ouvrir la voie, sur le principe, au «clonage thérapeutique»1, soit la mise au point de toute une gamme de traitements médicaux potentiels, comme le remplacement ou la réparation d’organes et de tissus.

Le climat a changé en juin 1999, lorsque le gouvernement a refusé de suivre l’avis de l’instance de contrôle créée par la loi de 1990, la très respectée Human Fertilization and Embryology Authority, qui proposait d’amender la législation pour autoriser officiellement la recherche sur le clonage thérapeutique. Il a fait savoir qu’il lui fallait encore du temps pour en étudier la portée éthique.

Pour la Grande-Bretagne, le dilemme politique est rude. Certes, la technique de clonage mise au point par Ian Wilmut et ses collègues a été saluée comme une percée scientifique majeure, dont les nombreuses applications médicales potentielles allaient stimuler considérablement l’économie britannique (vente de brevets à des sociétés du monde entier notamment). De l’usage responsable du clonage

Mais, en ces temps où la confiance dans les experts scientifiques de l’État a été gravement compromise par l’affaire de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, la «maladie de la vache folle»), et s’est encore dégradée avec les inquiétudes sur les dangers potentiels des plantes génétiquement modifiées pour la santé et l’environnement, le gouvernement ne tenait pas à risquer à nouveau sa crédibilité en autorisant rapidement une autre technologie «révolutionnaire» et controversée.
La «production sur commande» d’êtres humains répliqués par clonage n’a guère de défenseurs. C’est le clonage thérapeutique, avec ses nombreuses applications médicales potentielles, qui se trouve au cœur du débat. Il pourrait servir, par exemple, à soigner les femmes chez qui l’ADN des mitochondries (le matériel génétique fournissant de l’énergie à la cellule) est endommagé, et qui risquent donc de transmettre cette déficience à leurs enfants. Ou à produire de la peau pour les greffes, alors qu’aujourd’hui on doit la prélever sur une autre partie du corps du patient. Ou encore à remplacer des cellules détériorées dans les os ou le foie.

Le problème est que le mot «clone» heurte vivement les sensibilités: il évoque immédiatement l’image du dictateur ou de la vedette qui commande sa propre reproduction à de multiples exemplaires. Le clonage est, aux yeux de ses adversaires, le comble de l’«instrumentalisation» de l’être humain, puisqu’il fait d’un individu un moyen d’en satisfaire un autre et non une fin en soi. Quant au distinguo entre «clonage reproductif» et «clonage thérapeutique», il leur paraît purement verbal: selon eux, autoriser le second conduira inévitablement au premier.

A l’opposé, cette même distinction est jugée cruciale par les ardents partisans d’une mise en œuvre complète des potentialités médicales du clonage, parmi lesquels Ian Wilmut: depuis deux ans et demi, il n’a cessé d’évoquer publiquement les perspectives ouvertes par ses travaux — leurs dangers comme leurs promesses. Il est aujourd’hui directeur scientifique de Geron Bio-Med, société fondée conjointement au début de 1999 par le Roslin Institute et une compagnie américaine de biotechnologie, Geron, afin d’exploiter ses découvertes.

Pour Ian Wilmut (et beaucoup d’autres), le clonage humain pose d’épineux problèmes d’identité et de rapports humains, en particulier au sein de la famille: «Nous pouvons tous imaginer, dit-il, ce qui risquerait de se passer si un enfant cloné naissait dans notre foyer. Pensez par exemple aux difficultés qu’il aurait s’il ne répondait pas aux attentes de ses parents — cas fort probable, puisque la personnalité n’est qu’en partie seulement déterminée par le patrimoine génétique».

Mais Ian Wilmut insiste aussi sur les bienfaits considérables qu’on peut attendre des techniques de clonage si on en fait un usage responsable: «Le potentiel de traitements plus efficaces est immense pour toute une gamme de maladies dues, comme celle de Parkinson, à des cellules endommagées qui ne peuvent plus se reproduire». Reconnaissant que le dilemme éthique posé est lourd, il se dit «très désireux de participer à toute discussion sur ce thème».

Les efforts pour obtenir des responsables politiques l’autorisation de mener des recherches sur le clonage thérapeutique se sont heurtés à de sérieux obstacles, l’un des principaux étant les pressions des mouvements anti-avortement, qui restent farouchement hostiles à toute forme de clonage. On l’a bien vu aux États-Unis, quand l’administration Clinton a présenté un projet de loi qui devait, simultanément, interdire le clonage reproductif et autoriser celui de l’embryon à des fins thérapeutiques. Début 1999, l’Institut national de la santé a fait savoir que, même si le Congrès lui interdisait de financer les recherches sur les embryons avec des fonds fédéraux, il avait décidé de parrainer un travail sur des cellules souches, fournies par le secteur privé et issues d’embryons non utilisés de la fécondation in vitro. (Les cellules souches sont des cellules indifférenciées à partir desquelles se développent des cellules spécialisées comme celles du sang). Le Congrès cherche actuellement comment colmater cette faille.

Le point de vue des adversaires américains du clonage est proche de celui qui a dominé les débats législatifs en Europe continentale, en particulier en France et en Allemagne: on insiste énormément sur les menaces potentielles pour la «dignité humaine». C’est d’ailleurs cette approche, associée à l’idée que la vie humaine commence dès la conception, qui a conduit la plupart des pays européens à interdire non seulement les essais de clonage humain, mais aussi toute recherche sur les embryons.

En revanche, l’approche des dirigeants britanniques (et américains) a été jusqu’à présent plus pragmatique: les dangers potentiels du clonage humain sont surtout à leurs yeux des risques médicaux, par exemple l’incertitude sur les possibles complications à long terme. Un «trou noir moral»

Une récente déclaration du gouvernement britannique semble cependant indiquer que sa position a évolué et qu’il entend désormais prendre en compte d’autres facteurs plus explicitement «éthiques». Cette évolution a été immédiatement saluée par les groupes de pression religieux, comme la Christian Action Research and Education. Dans des propos rapportés par le Times, son directeur Charles Colchester demande au gouvernement de veiller à ce que la nouvelle instance créée pour enquêter sur les techniques de clonage humain examine ce qu’il appelle le «trou noir moral» devant ce type de recherche.

La décision du gouvernement a été très critiquée par les chercheurs concernés. Robert Winston, qui enseigne le traitement de la stérilité à la Royal Postgraduate Medical School de Londres, a averti que, s’il ne revenait pas sur son choix, nombre des «meilleurs cerveaux» de Grande-Bretagne pourraient être tentés de quitter le pays afin de poursuivre leurs travaux ailleurs. «En brouillant le débat sur le clonage, a-t-il ajouté, le gouvernement prend le risque d’entraver l’un des plus importants progrès médicaux de la décennie.»

D’autres critiques sont venues de ceux qui ont hâte de voir le clonage donner lieu à des produits commercialisables. «La science britannique est aujourd’hui à l’avant-garde de ce domaine émergent», estime John Sime, président de la Bioindustry Association, l’organisation professionnelle du secteur biotechnologique au Royaume-Uni. Mais la concurrence est vive et l’enjeu énorme, tant pour les patients que pour l’économie.»

Certains restent optimistes, persuadés que ces recherches seront finalement autorisées. «Si ce qu’on dit du potentiel de ces nouvelles techniques pour soigner les maladies dégénératives est ne serait-ce qu’à moitié vrai, il serait immoral de ne pas poursuivre», estime Juliet Tizzard du Progress Educational Trust, organisation de soutien à la recherche sur les technologies de reproduction.

Le débat est loin d’être clos. La possibilité de produire des copies conformes d’êtres humains adultes inspire tant de fascination à certains — et de répulsion à d’autres — qu’il est clair que, quels que soient les bienfaits médicaux potentiels de la recherche sur le clonage, ses partisans auront bien du mal à obtenir l’autorisation d’aller de l’avant.

1) NDLR: cette technique, encore balbutiante, fait intervenir le développement d’un ovule qui sera ensuite détruit.


RD

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Débat: la loi chinoise est-elle eugénique?

On estime souvent en Occident que la loi chinoise sur la santé de la mère et de l’enfant viole les droits des individus et relève de l’eugénisme. Le scientifique chinois Qiu Renzong rejette ces allégations. Un sinologue allemand, Frank Dikötter, conteste ses arguments.

1. «Réduire les anomalies congénitales»

Auteur : Qiu Renzong, directeur du Programme de bioéthique, Académie chinoise des sciences sociales, Beijing.

Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm


La loi chinoise sur la santé de la mère et de l’enfant (Voir ci-dessous) a été vivement attaquée dans les milieux scientifiques et les médias occidentaux. Si certaines critiques sont justifiées, d’autres sont dues à des malentendus linguistiques et culturels. L’un des principaux porte sur le mot yousheng, qui revient souvent dans le texte de loi. C’est un mot piège, à double sens: il désigne dans la langue courante les «naissances saines» au sens pédiatrique du terme, mais on peut aussi l’employer pour évoquer l’eugénisme des programmes nazis. Les traductions anglaises de la loi ont eu malheureusement tendance à lui donner ce second sens.
La loi sur la santé de la mère et de l’enfant est-elle eugénique? Une politique ne peut l’être qu’à deux conditions: ne pas laisser de choix aux individus et avoir un fondement raciste. Ni l’une ni l’autre n’est remplie dans la loi chinoise. Les médecins peuvent conseiller à deux patients qui risquent de transmettre une maladie héréditaire de ne pas se marier ou de se faire stériliser, mais la décision finale leur appartient. Si les examens prénataux révèlent une maladie génétique, le médecin pourra suggérer l’avortement mais pas l’ordonner.Le péché et les bébés anormaux
Il est tout aussi essentiel de voir que la loi n’est pas motivée par le racisme, mais par le souhait de réduire les anomalies congénitales. Il n’existe aucune tradition raciste en Chine. Les Chinois ont été victimes de l’impérialisme occidental et du militarisme japonais. Ils ont parfois commis de graves erreurs, mais ils n’ont jamais revendiqué une supériorité sur d’autres peuples, et leurs actions militaires n’ont jamais été inspirées par le racisme. Leur politique intérieure non plus: les Han, ethnie dominante en Chine, ne se prétendent nullement supérieurs aux minorités.
Si les Occidentaux sont souvent choqués par l’attitude chinoise à l’égard des fœtus anormaux, c’est qu’ils ne comprennent pas les réalités culturelles et économiques sous-jacentes. Le grand penseur confucéen Xunzi (300-237 av. J.-C.) a dit: «La naissance est le début d’un être humain, et la mort est sa fin. Un être humain qui a un bon début et une bonne fin accomplit le Tao (s’élève au niveau spirituel supérieur)». De ce point de vue confucéen découlent deux grandes caractéristiques de la politique génétique de la Chine. D’abord, l’avortement est moralement et socialement acceptable, parce que la vie commence à la naissance: un fœtus n’est pas perçu comme un être humain. Ensuite, les maladies et malformations congénitales sont interprétées comme le signe que les parents ou les ancêtres ont péché dans une vie antérieure. Quand on sait que, pour désigner un bébé anormal, le mot traditionnel est «fœtus monstrueux», on ne s’étonnera pas du peu de soutien à attendre de la famille élargie et de la société. L’un des deux parents devra, en général, cesser de travailler, alors même que les soins à donner à cet enfant particulier peuvent coûter jusqu’au tiers du salaire ouvrier moyen.
Il faudra beaucoup de temps pour que ces attitudes négatives changent. Il y a aujourd’hui plus de 50 millions de personnes handicapées vivant dans la misère. Rien ne permet raisonnablement d’espérer que leur sort et celui de leurs mères s’améliorera dans un avenir proche. Beaucoup pensent qu’il eût mieux valu pour ces enfants et pour leurs mères qu’ils ne soient pas nés. L’Association chinoise des handicapés a d’ailleurs demandé au gouvernement, en 1989, d’accélérer l’adoption d’une loi pour prévenir la naissance des bébés malformés, étant donné leurs souffrances et la charge qu’ils représentent pour la société.
Le souci du bien commun a parfois conduit les généticiens, et d’autres en Chine, à empiéter sur l’autonomie individuelle. Ils ont confondu ce qui est techniquement possible (les tests génétiques) et ce qui est moralement admissible. J’estime néanmoins que la loi est une avancée vers la garantie d’un accès universel au conseil génétique et vers l’interdiction de la sélection par le sexe. Les experts chinois en génétique et en bioéthique en ont critiqué certains articles. Ils suggèrent notamment que le principe du «libre consentement informé» figure plus explicitement dans la loi. En 1998, les autorités ont consulté les plus éminents spécialistes chinois. Elles introduiront les modifications nécessaires en temps opportun. D’ici là, je demande à mes collègues occidentaux d’interroger les responsables concernés, les généticiens et les citoyens au lieu d’essayer de sanctionner la Chine, ce qui risque de faire plus de mal que de bien.
2. «Des décisions imposées»

Auteur : Frank Dikötter, directeur de l’Institut de la Chine contemporaine, École des études orientales et africaines, Université de Londres.
Les défenseurs de la loi chinoise sur la santé de la mère et de l’enfant affirment souvent qu’il y a erreur sur la traduction du mot yousheng: ce ne serait pas «eugénisme» mais «naissance saine». Outre qu’un terme n’a guère de sens en dehors de son contexte, on notera que, dans les langues européennes, le sens étymologique d’«eugénisme» est «naissance saine» (il vient des mots grecs eu, bien, et genos, naissance).
Le terme yousheng est apparu en Chine dans les années 20, quand ont été traduits ou écrits en chinois de nombreux ouvrages sur l’eugénisme. Beaucoup d’intellectuels chinois ont adhéré au mouvement eugénique, dont l’audience s’étendait de la Suède au Japon. Certains ont ouvertement fait l’éloge de la politique raciale nazie; d’autres souhaitaient seulement empêcher les «inaptes» de se reproduire. Si l’eugénisme est devenu tabou après l’arrivée des communistes au pouvoir en 1949 – comme dans le reste du monde, de par son association au nazisme –, il a resurgi en 1978, avec la politique de l’enfant unique.
Aujourd’hui, nombre de publications chinoises, scientifiques ou non, saluent encore le savant britannique Francis Galton (1822-1911), fondateur de l’eugénisme et cousin de Charles Darwin, en tant que père du yousheng, concept qu’elles définissent clairement comme la science permettant à l’État, par sélection, d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales de sa population.
Les défenseurs de la loi insistent sur le fait qu’elle exige le «libre consentement» des individus. Mais quelle est sa portée réelle dans un État à parti unique, où la dissidence politique est si souvent sanctionnée? Ils passent sous silence les lois provinciales promulguées depuis 1988, qui ne font même pas mention d’un choix individuel: dans la province de Gansu, par exemple, les «idiots», les «crétins» et les «imbéciles» (non définis en termes médicaux) n’ont le droit de se marier que s’ils sont stérilisés.
Il est essentiel de comprendre que le racisme n’est pas indispensable à l’eugénisme. Des milliers d’individus considérés comme «débiles mentaux» ont été stérilisés de force dans les pays scandinaves jusque dans les années 60 sans qu’il soit question de différence «raciale». Pour défendre la loi, on ne peut pas faire valoir que les Hans ne se prétendent pas supérieurs aux minorités. Pourquoi ne pas demander aux Tibétains ce qu’ils en pensent?
Les lois eugéniques en Chine touchent surtout deux groupes sociaux: les paysans (environ 70% de la population) et les minorités ethniques (il y en a 55, représentant près de 8% de la population). Les généticiens chinois affirment, dans les publications spécialisées ou grand public, que le taux d’handicapés physiques et mentaux est plus élevé chez les paysans que chez les citadins. Il serait aussi plus fort, selon eux, chez certaines minorités ethniques que dans la majorité Han. L’arriération économique de ces groupes humains, assurent-ils, est aggravée par la consanguinité. Ce qui, à mon sens, n’est qu’un habillage pseudo-scientifique des préjugés des Hans contre l’endogamie de ces minorités.Des points de vue totalement différents
Pour défendre la loi de 1995, on invoque aussi les valeurs confucéennes. La Chine n’est pas figée dans son passé. Citer Xunzi dans les années 90 est aussi utile que rappeler les Spartiates pour expliquer le nazisme. La liberté de procréer ou non n’est pas l’apanage de quelques cultures privilégiées, c’est un droit individuel inaliénable. On ne saurait justifier par un contexte culturel le contrôle autoritaire de la croissance démographique.
Les programmes de stérilisation mis en œuvre en Inde sous l’état d’urgence, dans les années 70, ont été massivement rejetés par les citoyens dès qu’il y a eu des élections. De plus, des études révèlent qu’en Chine et ailleurs, les individus ont des points de vue totalement différents sur la façon dont il faut traiter les handicapés. Dans des enquêtes réalisées par des chercheurs chinois à la fin des années 80, jusqu’à 25% des sondés estimaient la vie sacrée en toutes circonstances. Une grave malformation congénitale est l’un des problèmes les plus douloureux qu’une famille puisse affronter. Toutes les considérations morales et les options médicales doivent être mûrement pesées et franchement discutées. L’actuelle législation eugénique n’évoque pas l’élaboration d’un consensus: elle impose les décisions.
Même dans les pays démocratiques, les populations marginalisées subissent parfois un traitement discriminatoire. Dans un pays à parti unique comme la Chine, les lois eugéniques ont plutôt servi à éliminer les personnes vulnérables qu’à les secourir.


LA LOI CHINOISE DE 1995

Voici les principaux extraits de la traduction officielle de la loi sur la santé de la mère et de l’enfant, entrée en vigueur en Chine en 1995:


Article 8: Le bilan de santé prénuptial doit comporter l’examen des maladies suivantes: les maladies génétiques graves; les maladies infectieuses désignées et toute maladie mentale pertinente.

Article 10: Après avoir effectué ce bilan de santé, le médecin doit l’expliquer et donner un avis médical à l’homme et à la femme auprès desquels il a diagnostiqué une maladie génétique grave et considérée, du point de vue médical, comme inopportune durant la grossesse. Ce couple peut se marier si tous deux acceptent de recourir à des moyens contraceptifs pendant une longue période ou de subir une opération assurant leur stérilité.

Article 16: Si un médecin détecte ou soupçonne qu’un couple marié en âge de procréer est atteint d’une maladie génétique grave, il doit donner son avis médical aux époux. Ceux-ci doivent s’y conformer s’ils sont en âge de procréer.
Article 18: Le médecin doit donner des explications et un avis médical aux couples mariés, dont la femme est en fin de grossesse, si l’un des cas suivants est décelé dans le diagnostic prénatal: le fœtus est atteint d’une maladie génétique grave; le fœtus présente une grave déficience; la poursuite de la grossesse risque de menacer la vie de la femme enceinte ou de nuire sérieusement à sa santé.


RD

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Inde: la science facilite la sélection sexiste.

Auteur : R. Ramachandran, journaliste scientifique indien, New Delhi.

Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm


Le fœticide des filles fait rage depuis des années en Inde. La nouvelle technologie qui permet de choisir le sexe des bébés va aggraver la discrimination.Un seul mot sur une enseigne indique une activité florissante: ultrasons. Cette technique de diagnostic par ondes sonores, qui permet de visualiser le fœtus, est d’usage courant dans les soins prénataux, mais en Inde l’enseigne a un sens caché. Contre rétribution, les médecins révèlent par échographie le sexe de l’enfant à naître, ce qui permet d’avorter en cas de résultat «négatif» – en clair: si c’est une fille.

Les cliniques ont adopté cette appellation déguisée depuis qu’une loi de 1996 interdit l’usage des examens prénataux à des fins de sélection entre les sexes. Les médecins n’ont le droit d’examiner le fœtus que pour détecter les maladies ou les anomalies génétiques et congénitales. La moindre allusion à son sexe les expose, en principe, à des poursuites judiciaires. Mais la loi fait meilleure figure sur papier que dans les faits, admet S.C. Srivastava, responsable de sa mise en œuvre au ministère fédéral indien de la Santé. Si les autorités reconnaissent que les infractions sont courantes, elles n’ont encore engagé aucune action en justice.

Les filles, «fardeaux financiers»

Le repérage du sexe du fœtus se pratique intensivement en Inde depuis les années 70, lorsque les médecins ont utilisé l’amniocentèse (analyse du liquide intra-utérin) à cette fin. D’après une enquête réalisée à Bombay en 1985, 90% des centres d’amniocentèse pratiquaient la détermination du sexe et près de 96% des fœtus féminins étaient avortés. Aujourd’hui, on préfère les ultrasons: 1 500 cliniques s’y consacrent dans le seul Pendjab, l’État du nord de l’Inde qui compte plus de 20 millions d’habitants. Le seul effet apparent de la loi de 1996 a été d’augmenter les honoraires des médecins: ils sont passés de 10 à 30 dollars la consultation, en raison du risque de sanction pénale.

Selon le Dr Sharada Jain, gynécologue renommé de New Delhi, les nouveaux équipements en ultrasons vont aggraver les choses. L’amniocentèse ne détermine efficacement le sexe qu’à partir de 16 ou 18 semaines de grossesse. L’échographie abdominale par ultrasons y parvient à 14 semaines, avec une précision de 90%. Mais la technique plus avancée des ultrasons transvaginaux – très utilisée à New Delhi et qui se répand ailleurs – est encore plus précise, à 12 semaines. Le fœticide des filles devient donc possible au premier trimestre, où l’avortement est plus simple et la sélection sexuelle moins soupçonnable, constate le Dr Jain.

Le cœur du problème, c’est l’attitude de la société indienne traditionnelle à l’égard de la femme, souligne le Dr Mira Shiva, de l’Association bénévole indienne pour la santé, à New Delhi. On voit les filles comme un fardeau financier, à cause de la dot qu’il faudra payer pour les marier. Tant que les préjugés et les violences contre les femmes seront tolérés, la loi prohibant la sélection sexiste restera lettre morte, estime-t-elle.

Avec un tel système de valeurs, quel accueil réservera-t-on aux nouvelles technologies génétiques qui permettent de choisir le sexe des embryons? Un institut américain a récemment soulevé un grand émoi: sa nouvelle technique, MicroSort, sépare le sperme porteur des chromosomes X (engendrant des filles) de celui porteur de chromosomes Y (garçons). Taux de succès annoncé: 93% pour les naissances féminines et 73% pour les masculines. Le coût de ce procédé (5 000 dollars aujourd’hui) devrait baisser et son introduction en Inde n’est, pour les médecins, qu’une question de temps. «Je pourrais facilement proposer ce service dans quelques mois, confie le Dr Anoop Kumar Gupta de l’IVF and Fertility Clinic de New Delhi. Si je le fais, des centaines de clients feront la queue dehors.»

Pour le Dr T.C. Kumar de la Hope Infertility Clinic de Bangalore, «le choix éthique est clair: présélection du sexe ou perpétuation du fœticide, de l’infanticide et du meurtre des filles. Changer la société, c’est long, très long. Pouvons-nous nous permettre d’attendre?». Le Dr Shiva ne partage pas cet avis: «Cette présélection ne fera que conforter l’attitude pathologique de notre société envers les femmes: discrimination et dénigrement.»

RD

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États-Unis: scénarios de rêve ou cauchemars?

Culte de la compétition, inégalités de revenus, course à l’argent: la possibilité de «programmer» son bébé pose, aux États-Unis, des dilemmes plus aigus qu’ailleurs.


1. Bébés sur mesure : c’est pour demain

Auteur : Lee M. Silver, professeur de biologie à l’Université de Princeton (États-Unis) et à la Woodrow Wilson School of Public and International Affairs. Auteur de Remaking Eden: Cloning and Beyond in a Brave New World, Avon Books, New York, 1998.


Boston (États-Unis), 1er juin 2010:

Barbara allaite Max, son bébé. «Mon mari et moi l’avons choisi à partir des embryons que nous avons conçus, confie-t-elle à une amie. Nous nous sommes assurés que Max ne devienne pas obèse comme mon frère Tom, ni alcoolique comme la sœur de mon mari.»Seattle, 15 mars 2050:

A la maternité, Melissa va accoucher. Pour tenter d’oublier les contractions, elle regarde les images de synthèse d’une fillette de cinq ans, aux cheveux blonds et aux yeux verts, qui devient ensuite adolescente. C’est elle que Melissa est sur le point de mettre au monde. Ses gènes lui garantissent une protection à vie contre le virus du sida. Washington DC, 15 mai 2350:

Les Américains sont divisés en deux classes: les «Gènes riches», dont les familles ont beaucoup investi dans la conception génétique de leur progéniture, et les «Naturels», dont les familles n’en ont pas eu les moyens. Les «Gènes riches» représentent 10% de la population et dominent les couches supérieures de la société, tandis que les «Naturels» gagnent difficilement leur vie dans le secteur des services.

Les parents des «Gènes riches» font pression sur leurs enfants pour qu’ils ne dilapident pas leur capital génétique, acquis au prix fort, en épousant des «Naturels».
Ces scénarios ne sont pas de la science-fiction pour Hollywood. Ils s’appuient sur les connaissances actuelles. Depuis les années 80, les manipulations génétiques se pratiquent avec succès sur des souris, des vaches, des moutons et des porcs. Si elles ne concernent pas encore les êtres humains, c’est que l’adjonction de gènes dans les cellules de l’embryon humain ne réussit au mieux que dans 50% des cas. Quant à l’opération encore plus complexe qui consiste à modifier des gènes pour soigner une déficience, les chances de réussite sont environ d’une sur un million.

Mais le clonage change cette donne. On peut désormais prélever une cellule sur un ovule fécondé et la cloner à des millions d’exemplaires. Ceux-ci pourraient ensuite être manipulés en leur injectant, par exemple, un ADN étranger au moyen d’une aiguille microscopique. Grâce à la «technique de Wilmut», on peut prélever le noyau d’une cellule pour l’insérer dans un ovule, qu’on implante ensuite dans l’utérus de la mère.

Il ne s’agit là que de l’une des nombreuses approches actuellement étudiées dans les laboratoires. Qu’elle fasse appel à une ou à plusieurs méthodes combinées, la manipulation génétique d’embryons humains sera sûre et efficace d’ici le milieu du 21e siècle. Nous aborderons alors l’ultime frontière de la médecine et de la philosophie: le pouvoir de changer la nature de l’espèce humaine.

Les manipulations génétiques commenceront de manière tout à fait acceptable, avec le traitement de maladies graves, comme la mucoviscidose. Ensuite, dans une première phase, les parents donneront sans doute à leurs enfants des gènes que d’autres individus possèdent naturellement. Ils feront insérer dans l’embryon, par exemple, des gènes assurant une résistance à certaines formes de cancer ou d’infection par le VIH (près d’1% de la population masculine américaine possède un tel gène l’immunisant contre le sida). Ils pourront aussi éliminer toute prédisposition à l’obésité, à l’alcoolisme ou à des maladies comme le diabète.

Les généticiens se pencheront ensuite sur le cerveau et les sens. Les médecins remplaceront ou modifieront les gènes liés aux maladies mentales et au comportement antisocial, comme l’agressivité extrême. Grâce aux progrès de la technologie, les parents auront la possibilité d’augmenter le potentiel artistique de leurs rejetons en améliorant, par exemple, leur acuité visuelle ou auditive. Une meilleure compréhension du fonctionnement du cerveau permettra de développer leurs facultés cognitives en renforçant, par exemple, le gène chargé de convertir la mémoire à court terme en mémoire à long terme. Cette manipulation est actuellement pratiquée sur les souris.Dans une deuxième phase, les manipulations viseront l’introduction de gènes étrangers au génome humain. Par le transfert de gènes de chauves-souris, l’être humain pourra, par exemple, décrypter des ondes radio ou voir la nuit.

Évidemment, il faudra beaucoup de temps avant d’en arriver là, en raison des complexités et des risques de ces manipulations. On ne peut pas modifier le génome humain sans avoir la certitude de ne causer aucun dommage.

D’une manière ou d’une autre, le nombre et la diversité des interventions génétiques va croître de manière exponentielle, un peu à la manière des adjonctions aux systèmes d’exploitation des ordinateurs effectuées dans les années 80 et 90. Les perspectives, qui étaient auparavant inimaginables, deviendront indispensables… pour les parents qui en auront les moyens.

2. Les dangers du laisser-faire

Auteure : Amy Otchet, journaliste au Courrier de l’UNESCO.

«Grâce à QualGene, vous pouvez avoir l’embryon le plus parfait du marché! Ne vous en remettez pas au hasard pour vos chers enfants!» Ce type de slogan publicitaire ne va pas tarder à apparaître aux États-Unis, affirme le Dr Jeffrey Botkin, généticien spécialisé en pédiatrie et en bioéthique. Les Américains sont prêts à faire l’impossible pour aider leurs enfants à réussir. Pourquoi ne pas leur donner un coup de pouce décisif en sélectionnant le «meilleur» dans un lot d’ovules fécondés, ou en perfectionnant génétiquement l’enfant à naître?

«Bienvenue dans l’univers de l’eugénisme du laisser-faire!», lance Arthur Caplan, l’une des voix les plus écoutées en bioéthique. Pour ce professeur de l’Université de Pennsylvanie, la perspective est «la liberté de choisir le profil de ses enfants, étant bien entendu qu’on n’a le droit ni de les tuer, ni de leur faire du mal, ni de les changer en pire. S’il n’y a aucun risque, on ne voit pas en quoi il serait critiquable d’essayer d’améliorer biologiquement son enfant».

Pas d’accord, rétorque le philosophe Philip Kitcher de l’Université Columbia, inventeur de l’expression «eugénisme du laisser-faire». «La course à l’argent va maintenant concerner l’utérus. J’espérais mieux! Je vois bien aujourd’hui où est la racine du problème. Elle est au cœur de la société capitaliste: la pression pour être compétitif. Les parents qui en ont les moyens vont se sentir obligés de donner à leurs enfants “l’étoffe génétique qu’il faut”.»

Les généticiens mettront au point de nouvelles techniques pour examiner les embryons et peut-être un jour les améliorer et «les parents seront déchirés entre leur désir d’agir au mieux pour leur enfant et leur vision des préjugés et des inégalités qui les entourent», prévoit Philip Kitcher. Imaginons un couple en train de choisir dans un lot d’œufs fécondés in vitro et supposons que les chercheurs aient découvert des gènes liés à une inclination pour l’homosexualité. «On peut être sûr que certains parents diront alors: “Nous sommes sans préjugé mais, pour une lesbienne, c’est trop dur de vivre dans notre société”.» Les tests génétiques serviront à éliminer les «indésirables», selon Kitcher, exactement comme l’amniocentèse sert aujourd’hui en Chine et en Inde à sélectionner le sexe de ses enfants. Cet eugénisme du laisser-faire s’insinuera sournoisement, parce qu’on va de plus en plus recourir à la génétique pour s’épargner des problèmes sociaux, sans les résoudre. La couleur de la peau risque d’être perçue comme un handicap social : un couple afro-américain pourra chercher à avoir un bébé blanc. Les médecins refuseront peut-être, mais la question du rôle de l’État est posée: doit-il ou non réglementer la sélection des embryons et demain, leur éventuel «perfectionnement»?Le sacro-saint choix individuel

Une réglementation par la loi «est peu probable et, à mon sens, peu souhaitable», estime Arthur Caplan: aux États-Unis, «on considère que la meilleure réponse aux problèmes de la conception et de la procréation est le choix laissé aux individus».

C’est en vertu de ce principe que l’avortement est resté légal. Si l’État se mêlait de déterminer dans quelles conditions les enfants doivent naître, les mouvements anti-avortement pourraient trouver moyen de revenir sur le droit des femmes à maîtriser leur fertilité. De plus, poursuit Arthur Caplan, comment l’État pourrait-il limiter les aptitudes que les parents peuvent offrir à leurs enfants, alors qu’ils ont pratiquement carte blanche en matière de religion et d’éducation notamment? Améliorer génétiquement un embryon, observe-t-il, n’est pas «programmer» un enfant. Une éducation religieuse stricte pourrait constituer pour un bambin un moule autrement plus contraignant que le renforcement de ses aptitudes sportives, par exemple. Si on lui donne meilleure mémoire, où est le mal?

Pour Philip Kitcher, ce sont les effets cumulés des décisions individuelles qui posent problème. Si les parents choisissent tous certains traits et non d’autres, nous aurons une société plus homogène. Non que nous risquions d’aboutir à une nation hollywoodienne de chérubins blonds, joufflus, aux yeux bleus. Philip Kitcher craint plutôt de voir le choix des traits réduire le respect de la différence, renforcer le racisme et creuser l’abîme entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir des services génétiques dernier cri.

Ce sera moralement regrettable, admet Arthur Caplan, mais «on n’y échappera pas». Limiter la liberté individuelle au nom du bien commun ne serait pas conforme à l’American way. «Nous comptons sur la sagesse des choix individuels pour obtenir le mieux, et non sur une idée consensuelle du bien collectif.»

On pourrait néanmoins trouver un terrain où légiférer, estime Lori Andrews, directeur de l’Institut des sciences, du droit et de la technologie de Chicago. Si les garde-fous constitutionnels interdisent toute ingérence de l’État dans la décision d’un couple d’avoir ou non un bébé, ils ne garantissent pas audit couple la liberté absolue de décider quel genre de bébé il aura et dans quelles conditions.

Le conflit grave qui oppose les organisations anti-avortement et la communauté scientifique à propos de la recherche sur les embryons constitue un obstacle majeur à toute réglementation. Selon Lori Andrews, l’extrémisme des deux parties a mené à un vide législatif, ce qui laisse le secteur privé libre de poursuivre la recherche hors de tout contrôle des instances fédérales. Aujourd’hui, c’est la Food and Drug Administration qui est censée décider quels tests ou traitements génétiques pourront être proposés aux consommateurs. Mais ses décisions, souligne Lori Andrews, sont fondées sur la sécurité et l’efficacité: l’éthique et le débat public ne sont pas pris en considération.

Ce vide législatif laisse de très grosses responsabilités à la communauté médicale. Des profits considérables sont en vue dans le domaine émergent des services génétiques à la procréation. Des campagnes publicitaires vont convaincre les parents que leurs futurs rejetons méritent «ce qui se fait de mieux» en matière de diagnostics prénataux et d’amélioration génétique. Face à cette pression, les parents auront besoin de points de repère médicaux et éthiques pour évaluer les «produits».

Débat de société

«La profession médicale n’a guère fait plus que définir les problèmes», estime le Dr Botkin de l’Université de l’Utah. Les médecins s’efforcent de se montrer «non directifs» ou «neutres» quand ils remettent les résultats des examens prénataux. Mais la prise de décision commence dès le moment où l’on choisit les tests. La déontologie détermine un minimum, à savoir le moins qu’un médecin est tenu de faire dans telles circonstances. Avec le développement de la génétique, elle va devoir prévoir aussi un maximum. Cela dit, les médecins ne peuvent à eux seuls fixer les limites: elles nécessitent un large dialogue social.

Ce besoin de débat public est peut-être le seul point qui fasse l’unanimité. «Si nous commençons à parler de “toiletter” les êtres humains dès l’utérus, c’est qu’il y a vraiment quelque chose qui va mal dans notre société. La solution est en partie législative, mais elle exige aussi que la culture de la société d’abondance soit modifiée. Nous vivons une époque de triomphe autoproclamé du capitalisme, estime Philip Kitcher. Cette concurrence est-elle bonne pour nous et pour nos enfants?»

RD

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Dieu, la génétique et l’embryon.

Auteure : Sophie Boukhari, journaliste au Courrier de l’UNESCO.

Source :
http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm


De l’Église catholique au bouddhisme, en passant par l’islam, le judaïsme et le protestantisme, les religions réagissent de façon plus ou moins dogmatique aux avancées de la science.


Après le sexe des anges, c’est l’âme des embryons qui divise les théologiens. Mais cette fois, le débat déborde largement la chrétienté et concerne des êtres de chair et de sang. «Bien que la pratique religieuse diminue, estime Jean-François Mattéi, généticien et député français, la question métaphysique reste au fond des interrogations suscitées par le génie génétique, soit par tradition, soit par culture, soit par obligation.»

Peut-on recourir au dépistage prénatal (DPN) et envisager une interruption de grossesse quand une grave anomalie génétique est décelée? Faut-il permettre la recherche sur l’embryon, les thérapies géniques et le clonage? Pour toutes les religions du Livre (christianisme, judaïsme, islam), la réponse découle pour une bonne part du statut de l’embryon: la question de savoir s’il est animé ou pas trace une frontière mouvante entre le bon et le mauvais génie génétique. «Si l’embryon possède une âme, il passe d’une vie biologique à une vie humaine et toute atteinte à son intégrité est considérée comme un crime, résume René Frydman, généticien français auteur de « Dieu, la médecine et l’embryon » (Éditions Odile Jacob, Paris, 1997). S’il est inanimé, l’interdit reste— il faut respecter la vie accordée par Dieu — mais la faute est moins grave.»Le « front du refus »

L’Église catholique se distingue à bien des égards. Elle dispose tout d’abord d’un magistère unique, là où les autres religions ont une approche de proximité: discussion avec le rabbin pour les juifs, le pope pour les orthodoxes, le maître pour les bouddhistes, etc. De plus, les autres confessions se divisent en courants (juifs libéraux ou orthodoxe, bouddhismes en tous genres, etc.) ou en écoles juridiques (malékite, hanafite, chaféite, hanbalite pour l’islam sunnite, par exemple). Enfin et surtout, si toutes les grandes religions posent le principe général du respect de la vie et de la dignité humaine, l’Église de Rome est la seule à respecter l’embryon «comme une personne humaine dès le moment de sa conception», et à camper sur sa doctrine.

Le pape Jean-Paul II l’a rappelée à plusieurs reprises, notamment dans les encycliques «Veritatis Splendor» (1993) et «Evangelium Vitae» (1995). Il en découle une succession d’interdits: non au DPN s’il peut déboucher sur un avortement, non à la plupart des recherches et des thérapies sur l’embryon... La papauté s’oppose aussi au clonage — reproductif et thérapeutique. Elle dénonce cette fois la violation du principe d’unicité de la personne et du sacro-saint lien entre sexualité et procréation.

Les positions des chrétiens orthodoxes sont très proches de celles du Vatican. Mais le «front du refus» des technologies du génome s’arrête là. Pour l’islam et le judaïsme, ce qui compte est le respect de la filiation, et le moment où l’embryon acquiert une vie propre. Le Coran des musulmans énonce dans la sourate 23-12: «Nous avons créé l’être humain d’un extrait d’argile (nufta) puis d’une goutte déposée dans un réceptacle sûr, puis nous avons fait de cette goutte une adhérence (alaqa), puis nous avons créé l’adhérence en un embryon (mudhgha), puis nous l’avons couvert d’os et de muscles, enfin nous avons fait une tout autre création».

Mais pour certains musulmans, il se passe 40 jours avant que l’esprit (ruh) ne soit insufflé à l’embryon et pour d’autres 120 jours. Du coup, si le DPN est accepté, la question de l’avortement divise. Selon H’mida Ennaifer, de l’Institut supérieur de théologie de Tunis, «les juristes musulmans sont unanimes à condamner l’avortement après que le fœtus a reçu le souffle de vie. Certains malékites le condamnent même si l’enfant a moins de 40 jours alors que d’autres écoles le tolèrent pendant les quatre premiers mois de la grossesse». L’islam admet par ailleurs les thérapies géniques somatiques. Mais il proscrit (en général) la modification des cellules germinales et tout ce qui nie le principe de la création divine, à commencer par le clonage. Reste que pour une minorité de juristes, le clonage serait dans certains cas préférable à un «adultère génétique» car il permettrait de respecter la filiation: il éviterait à un couple stérile de recourir à un tiers donneur de gamètes dans le cadre d’une procréation médicalement assistée.

Les juifs invoquent quant à eux le Talmud. «Au moment de la traversée miraculeuse de la mer Rouge, même les embryons dans le ventre de leur mère ont chanté la gloire de Dieu», dit le Talmud de Babylone. «Si les embryons peuvent chanter la gloire de Dieu, c’est qu’ils ont une âme et une conscience», commente-t-il. Après le quarantième jour, précise le Talmud: avant, l’embryon n’est «que de l’eau».
Pour se conformer à la halakha (la loi juive), il est donc préférable de pratiquer le DPN avant le quarantième jour. Au-delà, l’avortement n’est permis que si la santé de la mère est en danger. Dans les faits, tout dépend de l’interprétation des rabbins. Pour certains, si la mère fait une dépression nerveuse en apprenant qu’elle porte un enfant atteint d’une pathologie incurable, l’avortement est licite, même après 40 jours. D’autres sont beaucoup plus stricts.

Quant aux expérimentations sur l’embryon, elles sont autorisées, en particulier s’il n’a pas de chance de vivre. Le judaïsme n’exclut pas non plus tout clonage, estime le juriste et théologien français Raphaël Braï. «S’il y a un usage thérapeutique de cette technique, il faut en discuter collectivement. Sur ce point, plusieurs principes religieux entrent en concurrence: par exemple, l’unicité de la personne et l’obligation de se soigner.» Sauf exception, le clonage reproductif est en revanche écarté.

Les chrétiens protestants sont, en général, encore plus ouverts aux progrès de la génétique. Mettant l’accent sur le libre arbitre, ils considèrent chaque cas comme particulier et en appellent au seul jugement du couple. «Il y en a qui admettent le DPN suivi d’un avortement si la femme en décide ainsi, explique Carlos de Sola, chef de l’unité bioéthique du Conseil de l’Europe, qui a organisé des consultations d’autorités religieuses. Il y en a même qui acceptent que l’on puisse choisir le sexe de son futur enfant par sélection du sperme, afin de fonder une famille comportant à la fois des filles et des garçons». Les Églises réformées approuvent la recherche sur l’embryon — à condition qu’elle soit strictement encadrée. Elles ne ferment pas non plus la porte au clonage — tout en rejetant ses applications mercantiles et eugéniques.

Le dogme est encore plus étranger au bouddhisme, qui pose que toute vérité est relative. Comme l’explique le spécialiste français Raphaël Liogier, «la seule limite éthique, c’est la souffrance. Le Bouddha est un thérapeute avant tout». Pour le Dalaï-Lama, leader des bouddhistes tibétains, il faut «considérer principalement quels peuvent être les bienfaits et les méfaits des manipulations génétiques». Il estime admissible qu’elles servent à «améliorer le corps humain, par exemple le cerveau». «Le corps physique n’est qu’un support pour le karma (les actes, et les conséquences de ces actes, qui peuvent remonter à de lointaines existences passées, en vertu de la théorie de la réincarnation), ajoute R. Liogier. S’il a été travaillé génétiquement ou cloné, à la limite, cela n’a pas d’importance. En revanche, l’avortement est à éviter car il détériore le karma.» Mais là encore, tout est relatif et l’essentiel est d’éviter la souffrance. Selon le Dalaï-Lama, «l’avortement est autorisé dans le cas d’une mère enceinte qui risquerait sa vie lors de l’accouchement ou qui donnerait naissance à un enfant très handicapé».

D’une infinie variété, la palette des réponses religieuses aux questions de bioéthique est en perpétuelle recomposition, si l’on excepte la raideur doctrinale du Vatican et les crispations des intégristes de toutes les confessions. Face à des problèmes qui renvoient à l’origine et au sens même de la vie, estime René Frydman, «le discours religieux semble pouvoir être d’un grand secours, pour autant qu’il rappelle les valeurs fondatrices de notre humanité sans prétendre les imposer, qu’il se présente comme un lieu de questionnement et non comme un corpus de dogmes».


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