dimanche 14 octobre 2007

 

FORMER LES ACTEURS DU FUTUR.

En 1993, l'UNESCO a constitué une Commission internationale indépendante sur l'éducation pour le 21e siècle. Présidée par Jacques Delors, elle a été assistée dans ses travaux par un groupe d'éminents conseillers venant de toutes les régions du monde. Sa tâche : conduire une réflexion novatrice sur la manière dont l'éducation pourra faire face aux défis de l'avenir. Ses travaux se sont achevés en 1996, qui est celle du 50e anniversaire de l'UNESCO.

Brève biographie de JACQUES DELORS

Ancien ministre de l'Économie et des Finances de France, ancien président de la Commission des communautés européennes (1985-1995), Président de la Commission internationale sur l'éducation pour le vingt et unième siècle constituée par l'UNESCO, a publié, entre autres, "Le nouveau concert européen" (Odile Jacob, Paris, 1992) et "L'unité de l'homme" (Odile Jacob, Paris, 1994).

RAPPORT DE LA COMMISSION EN BREF

INTRODUCTION

Au moment où l'humanité va aborder le 21e siècle, son avenir suscite une réflexion et des débats intenses. Si l'avancée des connaissances, et en particulier celle de la science et de la technologie, fonde l'espoir d'un avenir de progrès pour l'humanité, l'actualité, chaque jour, nous rappelle à quelles dérives, à quels dangers parfois extrêmes, à quels conflits le monde contemporain se trouve exposé.

L'interdépendance sans cesse plus évidente des peuples et des nations, qui est le trait marquant de notre époque, crée les conditions d'une coopération internationale sans précédent. Mais cette émergence d'une conscience véritablement planétaire révèle aussi l'ampleur des disparités dont souffre le monde, la complexité et l'imbrication de ses problèmes, ainsi que la multiplicité des menaces qui risquent, à tout moment, de remettre en cause les acquis.

L’éducation, dont le progrès humain dépend dans une si large mesure, se trouve du même coup fortement sollicitée. L’idée s’impose de plus en plus fortement qu’elle constitue l’une des plus puissantes armes dont nous disposions pour modeler l’avenir — ou, plus modestement, pour nous piloter vers le futur en suivant les courants porteurs et en tentant d’éviter les écueils. Mais que fait-elle aujourd’hui pour former les acteurs du futur ?

Il s’agissait en particulier de répondre à la question suivante : «Comment l’éducation peut-elle jouer un rôle dynamique et constructif pour préparer les individus et les sociétés du 21e siècle ? — et ce, quelque vingt ans après qu’une autre commission, présidée par Edgar Faure, a publié un rapport, toujours actuel, sous le titre significatif “Apprendre à être” ?»

QUATRE QUESTIONS CRUCIALES

La Commission s’est efforcée de raisonner dans un cadre prospectif dominé par la mondialisation, de sélectionner les bonnes questions qui se posent à tous et de tracer quelques orientations valables tant au niveau national qu’à l’échelon mondial. J’évoquerai ici quatre questions qui me semblent cruciales.

La première est celle de la capacité des systèmes éducatifs à devenir un facteur-clé du développement. Cela suppose que l’éducation assure un triple rôle : économique, scientifique et culturel. Chacun attend que l’éducation contribue à la formation d’une main-d’oeuvre qualifiée et créatrice qui s’adapte à l’évolution de la technologie, et participe à la « révolution de l’intelligence » qui entraîne nos économies. Chacun attend aussi — au Nord comme au Sud — que l’éducation fasse progresser les connaissances de telle sorte que le développement économique puisse s’accompagner d’une maîtrise responsable en matière d’environnement physique et humain. Et l’éducation faillirait enfin à sa mission si elle ne produisait pas des citoyens enracinés dans leur propre culture et néanmoins ouverts aux autres cultures et engagés dans le progrès de la société.

La seconde question concerne la capacité des systèmes éducatifs à s’adapter à l’évolution de la société. Nous touchons là à l’une des responsabilités fondamentales de l’éducation : devoir préparer le changement, malgré l’insécurité croissante qui nous interroge et nous déstabilise. Qu’il s’agisse des valeurs individuelles ou sociales, de la structure des familles, du rôle des femmes, de la place faite aux minorités, des problèmes de l’urbanisation ou de l’environnement, l’éducation doit prendre en compte tout un enchevêtrement de facteurs qui ne cessent d’évoluer en s’influençant les uns les autres.

La troisième question est celle des rapports entre le système éducatif et l’État. Le rôle de l’État, la délégation de certains de ses pouvoirs aux autorités fédérales ou locales, l’équilibre à rechercher entre enseignement public et enseignement privé, tels sont quelques aspects d’un problème qui se pose, d’ailleurs, de manière différente selon les pays.

Enfin la quatrième question, c’est la diffusion des valeurs d’ouverture à l’autre, de compréhension mutuelle, en un mot des valeurs de paix. L’éducation peut-elle prétendre à l’universel ? Peut-elle par elle-même, en tant que facteur historique, créer un langage universel qui permette de surmonter certaines contradictions, de répondre à certains défis, et de transmettre, malgré leur diversité, un message à tous les habitants de la planète ? Dans ce langage idéalement accessible à tous, toute la sagesse du monde, la richesse de ses civilisations et de ses cultures, s’exprimeraient sous une forme immédiatement compréhensible.

QUELQUES PISTES DE TRAVAIL

Trois grandes crises actuelles — la crise économique, la crise de l’idéologie du progrès et une certaine forme de crise morale — constituent le fond du tableau qui devait stimuler la réflexion de la Commission.

Les principales pistes de travail sont : les relations de l’éducation avec la culture (la culture conçue comme un élément d’une meilleure connaissance de soi-même et des autres) ; avec la citoyenneté et, plus généralement, avec le sentiment d’appartenance (pour faire en sorte que nos contemporains et ceux qui nous suivront n’aient pas l’impression d’être isolés dans ce monde vertigineux qu’ils perçoivent à travers leur écran de télévision) ; avec la cohésion sociale (qui diminue par rapport à ce qu’elle était il y a cinquante ans, à la fois dans les pays du Nord et les pays du Sud). Ensuite, bien entendu, les relations entre éducation, formation, travail et emploi, les rapports avec le développement et, enfin, le rôle essentiel que l’éducation doit jouer dans le progrès de la recherche.

Pour que les travaux de la Commission aient une portée encore plus pratique et permettent de passer des propositions aux politiques mêmes de l’éducation, il a fallu aborder également trois problèmes transversaux: le choc des moyens modernes de communication sur les systèmes éducatifs actuels ; le devenir de la fonction enseignante ; les systèmes à mettre en place et les ressources financières à dégager.

LES PILIERS DE L'ÉDUCATION

Apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble et apprendre à être, tels sont les quatre piliers que la Commission a présentés et illustrés comme étant les bases de l’éducation.

Apprendre à connaître. Compte tenu des changements rapides entraînés par le progrès scientifique et les formes nouvelles de l’activité économique et sociale, il importe de concilier une culture générale suffisamment étendue avec la possibilité de travailler en profondeur un petit nombre de matières. Cette culture générale constitue en quelque sorte le passeport pour une éducation permanente, dans la mesure où elle donne le goût, mais aussi les bases, pour apprendre tout au long de sa vie.

Apprendre à faire. Au-delà d’un métier dont on poursuit l’apprentissage, il convient plus largement d’acquérir une compétence qui rende apte à faire face à de nouvelles situations et qui facilite le travail en équipe, dimension actuellement trop négligée dans les méthodes d’enseignement. Cette compétence et ces qualifications deviennent plus accessibles si les élèves et étudiants ont la possibilité de se tester et de s’enrichir en prenant part à des activités professionnelles ou sociales, parallèlement à leurs études. Ce qui justifie la place plus importante que devraient occuper les différentes formes possibles d’alternance entre l’école et le travail.

Apprendre à être. Tel était le thème dominant du rapport Edgar Faure publié en 1972 sous les auspices de l’UNESCO. Ses recommandations sont toujours d’une grande actualité, puisque le 21e siècle exigera de tous une plus grande capacité d’autonomie et de jugement, qui va de pair avec le renforcement de la responsabilité personnelle dans la réalisation du destin collectif.

Apprendre à vivre ensemble, enfin, en développant la connaissance des autres, de leur histoire, de leurs traditions et de leur spiritualité. Et à partir de là, créer un esprit nouveau qui, grâce à la perception de nos interdépendances croissantes, et grâce à une analyse partagée des risques et des défis de l’avenir, pousse à la réalisation de projets communs, ou bien à une gestion intelligente et paisible des inévitables conflits. Utopie, pensera-t-on, mais utopie nécessaire, utopie vitale, pour sortir du cycle dangereux nourri par le cynisme ou la résignation.

PLACER L'ÉDUCATION TOUT AU LONG DE LA VIE AU COEUR DE LA SOCIÉTÉ

Le concept de l’éducation tout au long de la vie, préconisé dans le rapport Faure, apparaît comme l’une des clés d’entrée dans le 21e siècle. Répondant au défi d’un monde en changement rapide, il s’impose avec ses atouts de flexibilité, de diversité et d’accessibilité dans le temps et dans l’espace. Il dépasse également la distinction traditionnelle entre éducation première et éducation permanente.

L’idée d’éducation permanente doit être à la fois repensée et élargie. Car au-delà des nécessaires adaptations liées aux mutations de la vie professionnelle, elle doit être une construction continue de la personne humaine, de son savoir et de ses aptitudes, mais aussi de sa faculté de jugement et d’action.

Mieux, il est souhaitable que l’école lui donne davantage le goût et le plaisir d’apprendre, la capacité d’apprendre à apprendre, la curiosité de l’esprit.

Allons même jusqu’à imaginer une société où chacun serait, tour à tour, enseignant et enseigné. Pour cela, rien ne peut remplacer le système formel d’éducation où chacun s’initie aux disciplines de la connaissance, sous ses multiples formes. Rien ne peut se substituer à la relation d’autorité, mais aussi de dialogue, entre le maître et l’élève. Tous les grands penseurs classiques qui se sont penchés sur le problème de l’éducation l’ont dit et répété. Il revient au maître de transmettre à l’élève ce que l’Humanité a appris sur elle-même et sur la nature, tout ce qu’elle a créé et inventé d’essentiel.

L’éducation doit donc constamment s’adapter aux mutations de la société, sans négliger de transmettre l’acquis, les bases, les fruits de l’expérience humaine.

REPENSER ET RELIER LES DIFFÉRENTES SÉQUENCES DE L'ÉDUCATION

En centrant ses propositions autour du concept d’éducation tout au long de la vie, la Commission n’a pas voulu signifier que ce saut qualitatif dispenserait d’une réflexion sur les différents ordres d’enseignement.

Bien au contraire : l’éducation tout au long de la vie permet d’ordonner les différentes séquences, d’aménager les transitions, de diversifier les parcours, tout en les valorisant.

Les savoirs de base y trouvent toute leur place : lire, écrire, calculer. La combinaison de l’enseignement classique et des approches extérieures à l’école doit permettre à l’enfant d’accéder aux trois dimensions de l’éducation : éthique et culturelle, scientifique et technologique, économique et sociale.

L’éducation de base doit par ailleurs être étendue, à travers le monde, aux 900 millions d’adultes analphabètes, aux 130 millions d’enfants non scolarisés et aux plus de 100 millions d’enfants qui abandonnent prématurément l’école. Ce vaste chantier est une priorité pour les actions d’assistance technique et de partenariat, et pour la coopération internationale en général.

DES STRATÉGIES DE RÉFORME À LONG TERME

Sans sous-estimer la gestion des contraintes à court terme, sans négliger les adaptations nécessaires aux systèmes existants, la Commission a souligné la nécessité d’une approche à plus long terme pour réussir les réformes qui s’imposent.

Trois acteurs principaux contribuent au succès des réformes éducatives : la communauté locale (les parents, les chefs d’établissements et les enseignants), les autorités publiques et la communauté internationale.

Le principe de l’égalité des chances doit dominer tous les choix à effectuer.

EN GUISE DE CONCLUSION

L’interdépendance des nations permet — et exige — aujourd’hui une coopération internationale d’une envergure nouvelle, dans tous les domaines. La Commission internationale pour le vingt et unième siècle est l’un des éléments à travers lesquels, à l’approche du siècle nouveau, s’affirme la volonté d’y parvenir.

Sans se borner à un exercice purement descriptif ni même à l’esquisse d’une philosophie des systèmes éducatifs, son but n’était pas d’échafauder des « scénarios du futur » d’où découlerait une batterie de prescriptions à l’intention des responsables des politiques éducatives, mais de fournir aux décideurs des éléments qui les aident à élaborer des politiques de l’éducation, et de provoquer un débat qui concerne — par delà le monde de l’éducation et les enseignants — les parents, les enfants, les chefs d’entreprise, les responsables d’organisations syndicales, les associations qui essaient de valoriser le rôle de l’éducation.


RD

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