samedi 7 juillet 2007

 

Eugénisme: les leçons de l’histoire.

Auteure : Hilary Rose, professeur de médecine au Collège Gresham de Londres. Auteur de Love, Power and Knowledge: Towards a Feminist Transformation of the Sciences (Cambridge Polity, 1994).

Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm

Regarder en face le passé eugénique de l’Amérique du Nord et de l’Europe est crucial pour éclairer le débat actuel.Pendant près d’un demi-siècle, on a assimilé l’eugénisme (littéralement: science de l’«amélioration» du fonds génétique) aux horreurs nazies. Bien que des généticiens allemands comme Benno Muller Hill ait révélé la complicité de la communauté scientifique avec les nazis, on a longtemps évité de scruter systématiquement les politiques eugéniques d’autres pays.

Des historiens ont récemment comblé ce vide et donné une image claire du soutien politique et culturel à l’eugénisme, du début du xxe siècle aux années 70, en Amérique du Nord et dans de nombreux pays européens. Barons de l’industrie et élites gouvernementales n’avaient guère de sympathie pour les milieux sociaux défavorisés que visaient les mesures eugéniques. Plus surprenant est l’intérêt considérable que l’eugénisme a aussi éveillé chez des réformateurs sociaux, des intellectuels de gauche ou des féministes, persuadés que la science devait aider l’Etat à développer une population génétiquement «apte». Certains préconisaient un eugénisme négatif cherchant à limiter les naissances d’«inaptes»; d’autres un eugénisme positif encourageant les «aptes» à faire davantage d’enfants.Stérilisations des «faibles d’esprit»

Quand les horreurs nazies furent connues, de nombreux pays prirent soin d’éviter l’usage du mot «eugénisme», tout en continuant à le pratiquer. Ces «politiques démographiques» prévoyaient essentiellement la stérilisation forcée des femmes «faibles d’esprit». Le racisme aidant, les Afro-Américaines sont lourdement sur-représentées parmi les quelque 60 000 stérilisées de force, entre 1907 et 1960, dans plusieurs Etats américains. En Scandinavie, hommes d’Etat et généticiens mirent en œuvre des politiques de stérilisation forcée parce qu’ils craignaient que l’Etat-providence en gestation incite les «inaptes» à se reproduire. De 1934 à 1975, 63 000 personnes, dont 90% de femmes, ont été stérilisées d’autorité en Suède, et 48 000 en Norvège, bien moins peuplée. Les généticiens et hommes politiques britanniques et néerlandais, en revanche, ont recouru à des «programmes volontaires», tout en marginalisant les «faibles d’esprit». Le silence qui entourait ces pénibles chapitres de l’histoire n’a rien d’étonnant. Dans tout pays, il faut un courage obstiné pour déterrer les horreurs du passé. En Suède, la presse a révélé dans les années 70 l’eugénisme du passé, soulevant l’indignation de l’opinion, mais le gouvernement a attendu 1996 pour indemniser les femmes qui en ont été victimes.

L’actuel regain d’intérêt pour le passé est en partie dû au projet Génome humain. Depuis sa conception en 1985, de grands chercheurs comme James Watson, codécouvreur de la structure de l’ADN, ont éprouvé le besoin de rendre public ce sinistre passé, pour que l’ombre du vieil eugénisme d’Etat n’entrave pas la mise en œuvre de ce projet. Ils ont consacré une partie de leur budget de recherche de trois milliards de dollars à étudier non seulement le passé, mais aussi les dimensions sociales, juridiques et éthiques des recherches en cours. Car de nouvelles formes d’eugénisme peuvent surgir des progrès de la génétique. Beaucoup de scientifiques en sont tout à fait conscients.

Aujourd’hui, les généticiens prennent grand soin, en général, d’éviter tout lien avec l’eugénisme d’Etat en adoptant une nouvelle stratégie à deux visages: aux patients — les parents en puissance —, ils laissent, après explication, le choix des tests; à l’Etat, ils promettent qu’il y aura moins d’enfants handicapés. Mais, tandis qu’un nombre croissant de fœtus sont scrutés sous tous les angles, beaucoup, au sein des mouvements de handicapés, soulignent que ces «tests» visent à débusquer l’«anormal». Une «traque» qui rétrécit sans cesse l’idée même que nous nous faisons du «normal» et qui, disent ces militants, va aggraver le rejet de tous les handicapés.

Des membres de ces organisations ne sont pas loin de rejeter radicalement tout examen génétique, afin d’empêcher les femmes d’avorter les fœtus dits «anormaux». Cette position inquiète beaucoup le mouvement mondial des femmes en lutte pour le droit à l’avortement. Le mouvement des handicapés pourrait effectivement apparaître comme un allié «objectif» des organisations anti-avortement.

En premier lieu, il est essentiel de noter qu’en dépit de la prolifération des tests — tous brevetés et lucratifs —, la génétique n’a pas réussi à ce jour à tenir ses promesses en matière de thérapie génique. Les médecins sont toujours confrontés à des maladies qu’ils ne savent pas soigner. Souvent, ils présentent l’avortement comme un traitement. Puisque toute bonne future mère acceptera sans doute de subir tous les examens qu’elle pourra s’offrir ou se faire payer par l’Etat, beaucoup d’experts en bioéthique, de féministes et de membres des mouvements de défense des handicapés estiment que la multiplication des tests aboutira à un «eugénisme consumériste»: sous prétexte d’offrir une plus grande liberté de choix, il incitera en fait à sélectionner les «génétiquement corrects».

La question clef, pour qu’une décision soit vraiment libre, est: à qui profite le test? Aux individus ou aux sociétés qui le vendent? Pour la plupart des femmes — pas toutes —, un examen prénatal pouvant révéler sans risque d’erreur une redoutable maladie génétique accroît, certes douloureusement, la liberté de choix éthique. Mais que dire d’une possible abondance de tests pour des troubles génétiques relativement mineurs, comme la surdité ou la petite taille?La multiplication des tests pose un autre grand problème éthique: en concentrant nos efforts sur les faiblesses génétiques, nous risquons de négliger les facteurs sociaux comme la pauvreté. Le sociologue américain Troy Duster souligne que le moyen le plus efficace de faire naître davantage de bébés sains est d’aider les femmes des milieux défavorisés à manger convenablement pendant leur grossesse. En Californie, l’insuffisance pondérale à la naissance afflige de problèmes de santé graves et souvent mortels davantage de nourrissons que les maladies génétiques. La décision de cet Etat d’investir dans les tests de l’ADN et non dans la lutte contre la pauvreté revient donc, estime Troy Duster, à ouvrir discrètement la porte à l’eugénisme: les Afro-Américaines sont massivement sur-représentées parmi les pauvres.

Comment mieux gérer la biotechnologie? Nous pourrions d’abord lancer un débat sérieux sur les potentialités et les limites des tests génétiques. L’opinion a besoin d’informations fiables, afin de participer à la conception d’une réglementation efficace et humaine. Les gros titres annonçant «des bébés sur mesure», pour lesquels des parents fantasques choisiraient d’avance la taille, l’apparence physique et le niveau d’intelligence, ne nous aident pas beaucoup à résoudre les épineux problèmes éthiques qui se profilent. Commençons plutôt par apprendre des deux pays où, sur ces questions, la population fait le plus confiance à l’Etat: le Danemark et les Pays-Bas. Ils ont fait plus que partout ailleurs pour gérer les biotechnologies le plus démocratiquement possible.

Chronologie

1840-1850: Début de l’embryologie moderne. L’Estonien Karl Ernst von Baer met en évidence les premières étapes de la genèse de l’embryon.
1866: Le moine tchèque Grégor Mendel énonce des lois de l’hérédité à partir d’une série d’expériences sur les petits pois.
1875-1883: En Allemagne, Walter Flemming compte les chromosomes. Il en trouve 24 paires chez l’homme, chiffre ramené à 23 paires en 1956 par l’Indonésien Joe-Hin Tjio.
1905: Le «mendélisme», la science de l’hérédité, est rebaptisé «génétique» (du grec genêtikos, propre à la génération) par l’Anglais William Bateson.
1953: L’Américain James Watson et le Britannique Francis Crick découvrent la structure en double hélice de l’ADN. Ce sont les débuts effectifs de la génétique moléculaire qui définit la nature de l’information génétique en termes physicochimiques.
1973: Premières expériences de clonage humain, par scission d’un embryon initial. Première transgenèse, réalisée en greffant dans une bactérie des gènes non bactériens. L’ère du génie génétique commence.
1978: Naissance en Grande-Bretagne de Louise Brown, le premier bébé éprouvette, conçu par fécondation in vitro (FIV).
1990: Lancement du projet international Génome humain, dont le but est de localiser et d’identifier tous les gènes de l’ADN humain avant 2003.
1995: Mark Hugues réalise les premiers clones d’embryon humain par la technique du transfert du noyau, qu’il détruit au bout de quelques semaines.
1997: Annonce de la création par l’Ecossais Ian Wilmut de la brebis Dolly, clone réalisé à partir d’une cellule «adulte»

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Trois clés de la génétique.

« De l’ADN aux manipulations les plus «courantes», quelques explications aussi simples que possible.


1. Qu’est-ce qu’un gène?

Notre corps est formé de cellules contenant chacune un noyau, où se niche l’ADN (acide désoxyribonucléique). Cette immense molécule ressemble à une sorte d’échelle torsadée (la fameuse «double hélice»). Habituellement pelotonnée sur elle-même pour former des tortillons enchevêtrés les uns aux autres, elle se scinde en 23 paires de chromosomes homologues (l’un hérité de la mère et l’autre du père), lorsque la cellule se divise.Cette «échelle» d’ADN compte quelque trois milliards de «barreaux». Ils sont composés de quatre bases différentes — l’adénine (A en rouge), la thymine (T en bleu), la cytosine (C en vert) et la guanine (G en jaune) —, qui s’associent toujours de la même manière (A avec T et C avec G).
Environ 95% de la molécule semble n’avoir aucune fonction, tandis que les 5% restants contiennent quelque 100 000 gènes. Ces bouts d’ADN, tellement petits qu’ils sont invisibles au microscope, sont faits de plusieurs centaines de milliers de «barreaux». La manière dont les quatre bases s’y enchaînent constitue un genre de message codé: en suivant ces instructions, les cellules fabriquent les protéines qui nous font tels que nous sommes.
2. Le clonage à la « Dolly »

Il existe plusieurs méthodes de clonage. Mais jusqu’à la naissance de la brebis Dolly, en juillet 1996, il fallait avoir recours à des embryons-éprouvettes issus — comme tout le monde — d’un ovule et d’un spermatozoïde: on «coupait» par exemple lesdits embryons en deux avant d’implanter chaque moitié dans une mère porteuse pour obtenir deux clones. Si la recette de fabrication de Dolly est révolutionnaire, c’est parce qu’elle ne nécessite pas le passage par un embryon «normal», c’est-à-dire issu d’un ovule et d’un spermatozoïde: la brebis vedette des années 90 est née du «mariage» d’un ovule dénucléé et d’une cellule adulte prélevée sur la brebis dont on voulait faire le clone.
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3. Comment corriger « les anomalies génétiques »

Plus de 4 000 maladies génétiques sont responsables du tiers de la mortalité infantile dans les pays développés.
Lorsque les gènes «défectueux» sont identifiés, on peut tenter de les «réparer» en recourant à la thérapie génique. Cette technique encore balbutiante consiste à injecter des gènes «sains» dans les cellules malades. Mais, étant donnée la taille minuscule des cellules et des gènes, il est impossible de le faire «à la main», comme dans une opération chirurgicale. Les chercheurs ont donc recours à des vecteurs: virus ou retrovirus (famille particulière de virus) désactivés, ou liposomes. Ces transporteurs de «bons» gènes s’introduisent par eux-mêmes dans les cellules cibles du malade. Aussi prometteuse que soient ces techniques, aucune d’entre elles n’a jusqu’à présent permis de traiter de manière certaine une quelconque maladie. »
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Aux frontières d’un nouvel eugénisme?

Auteurs : Sophie Boukhari et Amy Otchet, journalistes au Courrier de l’UNESCO.

Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm

À l’ère du génome, les bonnes intentions de la médecine risquent-elles de nous mener aux frontières d’un nouvel eugénisme?Dans trois ans, les scientifiques devraient nous livrer les clés du langage codé à l’origine de notre «ego biologique»: les milliers de chercheurs d’une cinquantaine de nationalités qui participent au projet Génome humain auront identifié et localisé nos quelque 100 000 gènes. Cette information ouvre la voie à une infinité de traitements novateurs et de méthodes d’évitement de la maladie.

On s’attend, dans un premier temps, à la mise sur le marché d’une batterie de tests de dépistage, qui permettront d’affiner le diagnostic prénatal (in utero) et préimplantatoire – réalisé avant de remettre l’embryon dans l’utérus d’une femme, après une fécondation in vitro (FIV). Ils seront suivis d’un «conseil génétique», et pourront aboutir, par le biais de l’avortement ou du tri embryonnaire, à l’élimination de certains types d’individus. Dans plusieurs pays, des politiques de santé publique incitent déjà les femmes à procéder au dépistage de la trisomie 21 (mongolisme), par exemple.

Les traitements viendront dans un second temps, et incluront les fameuses thérapies géniques, encore balbutiantes. Elles suscitent les espoirs les plus fous, comme celui de lutter contre les 4 000 à 5 000 maladies génétiques identifiées ou de vaincre certains cancers. Mais des chercheurs rêvent aussi de développer un jour les thérapies dites germinales, qui permettraient de modifier le génome des cellules sexuelles des individus à naître: ces changements seraient transmis à leur descendance.

Associée aux progrès de la biologie de la reproduction humaine, une nouvelle discipline pourrait alors prospérer: la «reprogénétique», comme l’a baptisée le chercheur américain Lee Silver. Grande consommatrice de techniques comme le clonage d’embryons et les manipulations génétiques, elle permettrait, à long terme, de fabriquer in vitro des embryons «enrichis» de gènes de protection contre des maladies graves ou... conformes aux désirs de leurs parents.

Ces scénarios futuristes sont aujourd’hui largement irréalisables sur le plan technique et se heurtent à des barrières juridiques: le clonage humain et les thérapies germinales sont interdites. Mais ils donnent du grain à moudre à ceux qui redoutent de voir la médecine de demain se transformer en système de gestion et de contrôle des gènes. «Nous sommes arrivés aux frontières d’un nouvel eugénisme», clament de concert des philosophes, des hommes de religion, des défenseurs des droits humains et des mouvements anti-avortement. Ce terme d’eugénisme (voir définition dans le glossaire), souvent associé au nazisme et au fascisme, est si connoté négativement qu’un débat s’est ouvert sur la forme et sur le fond: doit-on encore utiliser ce terme d’une part; la génétique mène-t-elle vraiment à un nouvel eugénisme d’autre part?

Des États asiatiques et arabes du Golfe adoptent encore des lois niant à certains groupes humains, comme les handicapés, le droit de naître. Comme le souligne Noëlle Lenoir, ancienne présidente du Comité international de bioéthique de l’UNESCO (CIB), «l’outil génétique peut devenir un instrument supplémentaire d’exclusion dans des sociétés déjà discriminatoires». Or, quelle culture peut se targuer de ne pas l’être du tout? Certainement pas celles où les filles sont considérées comme des êtres inférieurs.Qu’est-ce que la normalité?

Le débat sur un éventuel nouvel eugénisme a aussi le mérite de rappeler que le bébé sans défaut est une chimère: il est impossible de «purifier» le génome, car de nouvelles anomalies génétiques se créent à chaque génération, expliquent les scientifiques. Cette opération serait de surcroît hasardeuse car personne ne sait de quels gènes nos lointains descendants auront besoin.

Une foule de questions éthiques arrivent par ailleurs dans le sillage du débat. Les tests de dépistage des maladies tardives posent le problème de savoir ce qu’est une vie qui vaut d’être vécue. «La chorée de Huntington se déclare entre 38 et 45 ans, rappelle le généticien français Axel Kahn. Or, pensez à tous les artistes qui sont morts avant 40 ans, ils témoignent qu’il est difficile d’accepter qu’une vie ne vaut pas d’être vécue si elle se dégrade ou disparaît à cet âge.»

Autre question délicate: qu’est-ce que la normalité? Dans une société accoutumée à l’élimination des «défauts» génétiques, les handicapés ne seraient-ils pas victimes d’une discrimination accrue? De nombreux bioéthiciens, comme l’actuel président du CIB, Ryuichi Ida, soulignent par ailleurs les dangers de «l’amélioration génétique» des embryons. D’une part, elle créerait de nouvelles inégalités en fabriquant des groupes qui ont bénéficié de ces améliorations et d’autres pas. D’autre part, les parents ont-ils le droit de dessiner l’enfant dont ils ont rêvé, de décider de son sexe, de ses qualités physiques? «Un enfant est une personne à part entière, irréductible dans son essence à la volonté des parents. Être parents, n’est-ce pas aimer l’enfant que l’on a tel qu’il est plutôt que d’exiger l’avoir tel qu’on le veut, estime Axel Kahn. En ce sens, l’enfant est en danger.» Pourtant, agiter le spectre de l’eugénisme est simpliste et dangereux, insistent la plupart des scientifiques, des industriels de la santé, des bioéthiciens et des défenseurs des droits des femmes. Les adversaires de l’avortement pourraient en profiter pour revenir sur le droit que les femmes ont chèrement acquis de disposer de leur fécondité.

Par ailleurs, dans les pays occidentaux, on parle aujourd’hui d’eugénisme «démocratique» ou «libéral» pour désigner le tri que les individus – et non les États ou les collectivités – seront capables d’opérer dans leurs enfants à naître. Mais que pèsera la liberté de choix face au poids des intérêts commerciaux? «Avec suffisamment de publicité, le marché des biotechnologies créera un sentiment de culpabilité chez les parents qui n’utiliseront pas tout ce qu’on leur proposera», pense la juriste spécialisée américaine Lori Andrews.

Enfin, les scientifiques rappellent que la science et la médecine ont toujours progressé en transgressant des interdits et qu’ils n’ont pas à payer le prix des errements des sociétés humaines. Reste que le rythme des nouvelles découvertes doit laisser le temps au public de réfléchir à leurs conséquences.

«Partout et de plus en plus, les individus seront confrontés à des dilemmes, conclut Noëlle Lenoir. Quand on vit dans une société autoritaire, religieuse, c’est plus facile: on a le mode d’emploi. Mais dans des sociétés pluriculturelles et sécularisées, où les citoyens ont accès à l’information et revendiquent leurs libertés, il est beaucoup plus difficile de fixer des repères. C’est pour cela que la bioéthique est née».


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Bioéthique: la tentation de l’enfant parfait.

Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro.htm



Les chercheurs mettent actuellement la dernière main à la carte du génome humain (nos quelque 100 000 gènes): une nouvelle ère commence. Parmi ses bénéficiaires potentiels, les futurs parents. Non seulement ils vont pouvoir repérer les «défauts» des fœtus, mais aussi, un jour, corriger une prédisposition à une maladie comme le cancer du sein, voire «renforcer» certains traits physiques ou comportementaux jugés souhaitables.

Pourquoi les parents ne profiteraient-ils pas à plein de ces technologies pour donner naissance à l’«enfant de leurs rêves», rayonnant de santé et de talents? Un dangereux fantasme se profile derrière ce bel espoir, affirment des voix parmi les communautés bioéthique et scientifique, les mouvements féministes, les organisations de défense des handicapés.

La génétique va-t-elle conduire à de nouvelles formes d’eugénisme? Si ce terme, lourd de sombres connotations historiques, défie toute définition simple, il impose de réfléchir aux dangers des tentatives d’«amélioration» génétique de l’espèce humaine. Les articles de ce dossier montrent comment les pressions de la société peuvent s’exercer sur les décisions des individus en matière de procréation.

Aux États-Unis par exemple, les conceptions que les parents ont de leur progéniture sont largement influencées par des intérêts commerciaux. En Chine, les tensions démographiques alimentent un débat sur une loi controversée qui vise à limiter le nombre de handicapés. En Inde, la discrimination culturelle contre les filles conduit les parents aux pires excès pour avoir des garçons.

Au Royaume-Uni, patrie de Dolly, les appréhensions en ce qui concerne le clonage humain sont des plus vives. En Allemagne, l’ombre du passé inspire la plus grande prudence dans tout le champ des biotechnologies.

Ce dossier se termine par un tour d’horizon des questions éthiques que pose l’actuelle inégalité entre les nations, dans l’accès aux avancées de la recherche génétique.

Lexique

ADN: l’acide désoxyribonucléique est le support de l’information génétique.
Cellules ES: cellules souches embryonnaires, en principe totipotentes, c’est-à-dire pouvant participer à la formation de tous les tissus du corps.

Cellule germinale: cellule reproductrice (spermatozoïde ou ovocyte), dont les modifications se transmettent à la descendance.

Cellule somatique: cellule non germinale, dites «adulte».

Chromosome: structure en bâtonnets composée d’ADN, visible au moment de la division cellulaire.

Clones: individus génétiquement identiques, obtenus par le biais d’une reproduction non sexuelle.

Eugénisme: néologisme forgé par le Britannique Francis Galton à partir du grec eu (bon), et genos (naissance, race). Etude des possibilités d’améliorer le patrimoine génétique humain.

Gène: portion d’ADN, qui, seul ou associé à d’autres, commande la réalisation d’un caractère. L’ensemble des gènes d’un organisme constitue son génome.Gène récessif: qui ne produit le caractère qui lui est lié que s’il existe sur les deux chromosomes de la paire (maternel et paternel). A l’inverse, le gène dominant réalise ses caractères en dominant le gène différent porté par l’autre chromosome de la paire.

Génie génétique: ensemble des techniques de biologie moléculaire permettant de manipuler l’ADN d’une cellule, afin de l’étudier, de le modifier ou de transplanter des gènes dans un autre organisme.

Maladie génétique: On en dénombre plusieurs milliers. Certaines sont monogéniques: un seul gène est responsable de la maladie. D’autres sont multigéniques: plusieurs gènes sont impliqués.

Thérapie génique: traitement de maladies génétiques par le transfert de matériel génétique dans les cellules du malade.


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Les microbes tueurs du nouveau millénaire.

Auteur : Robert Matthews, chroniqueur scientifique du Sunday Telegraph, Londres.

Source :
http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/planete/intro.htm


« En bousculant les équilibres écologiques, l’intrusion humaine dans la nature peut déchaîner des maladies mortelles portées par des microbes longtemps laissés en paix.»


« Au début, ils semblaient souffrir d’une simple grippe: gros mal de tête, articulations douloureuses, fièvre. Mais il est vite apparu que ces dizaines d’ouvriers des mines d’or de Durba (nord-est de la République démocratique du Congo) étaient en proie à un mal bien plus grave. On ne sait comment, à la fin de 1998, ils étaient entrés en contact avec un agent infectieux terrifiant, qui attaquait l’ensemble de leurs organes internes et les faisait saigner de manière incontrôlable. En quelques mois, plus de 60 mineurs sont morts de la mystérieuse maladie. Leurs corps flasques, couverts de taches rouges, ont continué de saigner après la mort... Les médecins locaux n’avaient jamais vu ça et les experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne purent diagnostiquer d’emblée une cause certaine à cette hécatombe.

Beaucoup faisaient la même hypothèse: les mineurs avaient dû être contaminés par un «virus émergent» – un minuscule paquet de gènes tapi depuis des années, des millénaires peut-être, dans son foyer naturel, jusqu’au jour où l’humanité était fâcheusement venue le déranger. Le suspect de l’énigmatique maladie de Durba était un «filovirus», un virus en forme de fil, dont l’effet dévastateur sur le corps humain a été constaté pour la première fois il y a 30 ans.

En 1967, plusieurs dizaines de personnes travaillant dans des laboratoires allemands et yougoslaves tombèrent malades: les symptômes étaient étranges et similaires. Sept moururent, et beaucoup d’autres souffrirent de séquelles durables allant de l’impuissance à la démence. La source de l’infection fut repérée: un arrivage de singes importés d’Ouganda, dont beaucoup étaient morts pendant le voyage. On découvrit qu’ils étaient porteurs d’un filovirus, qui fut baptisé du nom d’une des villes allemandes où les premiers cas étaient apparus: Marburg. À ce jour, aucun remède n’a été trouvé. Si le système immunitaire de la victime ne peut combattre le virus, elle meurt. Tel est le sort de plus de 50% des contaminés.

Quand des bûcherons réveillent le virus de la suette…En mai 1999, l’OMS a confirmé les craintes générales: l’analyse du sang prélevé sur les mineurs révélait qu’ils avaient bien été contaminés par le filovirus Marburg. Selon certaines informations, la même maladie venait de se déclarer au Zimbabwe chez des soldats, dont des milliers étaient entrés en République démocratique du Congo pour soutenir le président Laurent-Désiré Kabila contre une insurrection rebelle. Heureusement, les analyses de sang de trois soldats présumés porteurs du filovirus se révélèrent négatives et, au début de l’été, l’épidémie avait cessé à Durba. Marburg s’était à nouveau évanoui dans la nature, replié dans son repaire. Mais où exactement? Nul ne le sait. Quelque part, un être vivant – une chauve-souris ou un rongeur peut-être – lui sert inconsciemment de refuge.

Il est clair que plus l’humanité multiplie ses incursions en territoire inviolé, plus elle risque une nouvelle rencontre avec ce filovirus, voire pire. Après plusieurs décennies durant lesquelles on a usé et abusé en toute insouciance des ressources naturelles de la planète, le risque de déranger de nouveaux agents pathogènes mortels doit désormais être pris au sérieux.

L’alerte a été donnée de longue date. En 1485 apparut une maladie que l’on nomma la suette: en 24 heures à peine, ses victimes passaient de soudaines suées à un état de prostration et à la mort. Elle frappa encore quatre fois avant de s’évanouir en 1551.

La suette a sévi en Angleterre, où elle a tué en tout 20 000 personnes, soit plus de 0,5% de la population de l’époque.De récentes recherches suggèrent que son apparition était liée à un phénomène étonnamment moderne: le déboisement. La date et l’extension géographique de la suette correspondent à la destruction massive des forêts du Shropshire, sur les frontières occidentales de l’Angleterre. Selon cette hypothèse, les bûcherons ont, d’une façon ou d’une autre, permis au virus responsable de la maladie de se répandre en dehors de l’être vivant qui lui servait d’hôte depuis d’innombrables générations, et ils l’ont mis en contact avec des populations assez nombreuses pour entretenir une épidémie.Ce scénario s’est répété maintes fois à notre époque.

En Argentine, après la Seconde Guerre mondiale, on a défriché de vastes étendues de pampas à l’herbicide pour les mettre en culture. L’équilibre naturel entre une espèce de rat des champs et ses prédateurs s’en est trouvé perturbé: les effectifs de cette espèce se sont considérablement accrus. Au début des années 50, les gens commencèrent à tomber malades: fièvres, vomissements, maux de tête, parfois suivis d’une hémorragie et d’une mort atroce. La cause fut finalement découverte, à savoir un virus inconnu jusque-là, Junin, porté par les rats des champs.

Même enchaînement en Bolivie, lorsque des agriculteurs désirant produire du maïs ont défriché des bandes de jungle sur les rives du fleuve Machupo. D’étranges et horribles décès se sont produits. On en a trouvé la cause: un autre virus hémorragique (baptisé bien sûr Machupo), porté, lui aussi, par les rats des champs.Enfin, au début de l’année 1999, certaines données ont permis de lier aux campagnes de déboisement l’essor de la plus notoire de toutes les maladies émergentes: le sida.

Selon un article publié en février dans la revue Nature par une équipe internationale de chercheurs, l’hôte naturel du VIH-1, le virus mortel qui contamine aujourd’hui plus de 30 millions de personnes dans le monde, est le chimpanzé Pan troglodytes. Tués pour leur viande par des chasseurs au service des compagnies forestières, ces grands singes sont massacrés par milliers chaque année dans des conditions idéales pour la transmission des virus. D’après cette recherche toute récente, le virus VIH-1 a été introduit dans les villes par de la viande contaminée destinée aux restaurants, et par les chasseurs eux-mêmes, puis s’est répandu par transmission sexuelle dans le monde entier. A ce jour, plus de 12 millions de personnes sont mortes du sida, dont 80% en Afrique noire.Le mépris souverain pour les complexités des écosystèmes peut prendre d’autres formes – tout aussi dangereuses – que la destruction de territoires vierges.

C’est, par exemple, aux efforts de reboisement du XIXe siècle en Amérique du Nord-Est que l’on doit l’apparition récente de la maladie de Lyme: cette infection bactérienne potentiellement mortelle des articulations, du cœur et du cerveau est transmise aux humains par les tiques des cerfs.

Pour combattre le déboisement provoqué par l’agriculture intensive, les autorités locales ont lancé des programmes de reboisement et de protection des forêts. Ils ont créé un paysage attrayant à la fois pour les êtres humains, les cerfs et les ixodes scapularis, une tique portée par le cerf et qui porte elle-même borrelia burgdorferi, la bactérie responsable de la maladie de Lyme. Ne rencontrant guère de prédateurs naturels dans le nouvel écosystème, le cerf a proliféré, et ses contacts se sont multipliés avec les gens qui ont investi la région, exaltés par sa beauté apparemment «naturelle». Vers le milieu des années 70, les premiers cas de la maladie portée par la tique furent constatés chez des habitants d’Old Lyme, dans le Connecticut.

Le même enchaînement s’est produit depuis en Europe, en Asie et en Australasie. Des dizaines de milliers de cas de la maladie de Lyme sont signalés dans le monde entier chaque année.Tuberculose, diphtérie, choléra et paludismeLe retour d’un certain nombre d’anciennes maladies mortelles que l’on croyait vaincues constitue une autre preuve des dangers de l’autosatisfaction.

La tuberculose, pratiquement éliminée en Occident par l’amélioration des conditions de logement et par les médicaments, revient depuis le milieu des années 80: elle fait chaque année dans le monde plus de 3 millions de morts.

Beaucoup d’experts accusent l’usage laxiste des antibiotiques par les médecins occidentaux, qui a permis à des bacilles mutants de la tuberculose de créer des souches résistantes. Dans les pays en développement, l’épidémie du sida, en privant des dizaines de millions de personnes de leur système immunitaire face aux maladies, a multiplié par trois les cas de tuberculose au début des années 90.

Durant les derniers jours de l’Union soviétique, la diphtérie, autre maladie bactérienne des poumons qui frappe particulièrement les jeunes enfants, y était pratiquement inconnue. En 1998, environ 40 000 cas ont été signalés, essentiellement chez les pauvres et les sans domicile fixe qui ont afflué dans les grandes villes, après l’effondrement de l’URSS et de son système de santé.Au début des années 90, le choléra est revenu en Amérique latine après un siècle d’absence.

Les spécialistes pensent que cette maladie mortelle intestinale, d’origine bactérienne, a sans doute été importée d’Asie par des bateaux, dans l’eau qu’ils ont rejetée de leurs ballasts. En 1900, on ne signalait quasiment aucun cas sur le continent américain; aujourd’hui, il y en a environ 60 000 par an. La mondialisation du commerce ne nous a pas seulement facilité l’accès aux produits exotiques de pays lointains...Mais, de toutes les maladies résurgentes, c’est le paludisme (aussi appelé malaria) qui fait le plus de ravages, bien que l’on ait cru l’éradiquer.

L’optimisme initial était né de l’usage de la DDT dans les pays en développement, afin de tuer les moustiques porteurs du parasite qui le provoque. Introduite après la Seconde Guerre mondiale, la DDT a sauvé en 10 ans cinq millions de vies. En 1948, le Sri Lanka avait 2,8 millions de cas de paludisme; en 1963, avec la DDT, 17 cas. Mais, à la fin des années 50, des données ont laissé penser que la DDT persistait dans les sols et parvenait à remonter la chaîne alimentaire, avec un effet mortel sur certaines formes de vie.Bien que certains spécialistes commencent à contester ces données (en particulier leur pertinence pour les pays du Sud), la DDT fait aujourd’hui l’objet d’une interdiction mondiale. Les moustiques s’en portent très bien.

Au Sri Lanka, de 17, le nombre des cas de paludisme est remonté à 2,5 millions cinq ans seulement après l’abandon de la DDT. Au niveau mondial, les chiffres sont atterrants: 400 millions de cas par an, et près de deux millions de morts – dont 90% en Afrique.En mars 1999, le Dr Gro Harlem Brundtland, directrice générale de l’OMS, a spécifiquement cité le paludisme comme l’exemple d’un tueur pandémique susceptible de profiter d’une autre menace à l’environnement: le réchauffement de la planète, provoqué par les pollutions d’origine humaine. Le Dr Brundtland a fait remarquer que le paludisme est aujourd’hui signalé à plus haute altitude que précédemment, sur les plateaux du Kenya par exemple. Elle admet que cette évolution a sans doute plusieurs causes, mais elle estime que l’une d’entre elles est le réchauffement de la planète.

La hausse du niveau de la mer, essentiellement due à l’expansion thermique de l’eau induite par ce réchauffement, constitue, selon elle, une autre menace. «Si les systèmes de protection du littoral ne sont pas renforcés, une hausse de 50 centimètres du niveau de la mer en 2100 exposerait 80 millions de personnes à être inondées plus d’une fois par an, contre 46 millions dans les conditions actuelles, explique-t-elle. L’arrivée de vagues de réfugiés dans des deltas et des îles déjà surpeuplés encouragerait des maladies comme la diphtérie et la diarrhée. La hausse des nappes phréatiques le long des côtes pourrait aussi faciliter l’introduction d’agents pathogènes dans les réseaux d’égouts et les cours d’eau.» On craint de plus en plus que la mer ne constitue déjà une menace plus insidieuse pour la santé:
l’humanité s’est servie des océans de la planète comme de gigantesques décharges. Un rapport de la Banque mondiale de 1993 estimait qu’environ 30% de la population mondiale ne dispose d’aucun autre réseau d’évacuation des déchets que les rivières, les fleuves et la mer. Pratiqué pendant des années, le déversement d’une telle quantité d’ordures commence à rétroagir sur la santé. On a trouvé des virus de maladies humaines comme la polio et l’hépatite dans des coquillages comestibles. Et les proliférations d’algues toxiques – vastes colonies d’organismes simples, riches en agents pathogènes, qui prospèrent sur les nutriments issus des déchets – deviennent toujours plus fréquentes le long des côtes.

Il est clair aujourd’hui que la mer fonctionne comme une chambre froide géante pour des microbes potentiellement mortels, (comme le rotavirus, responsable d’une forme grave de diarrhée, et le virus de la polio), qui émergent parfois pour ravager la terre ferme. En décembre 1992, des milliers de personnes sont mortes du choléra au Bangladesh à la suite d’une remontée d’eaux profondes dans l’océan chargée de bactéries, au large de la côte sud.

Du déboisement à la surpopulation, des migrations massives à la mondialisation, de la pollution de l’atmosphère à celle des océans, les maladies nouvelles et résurgentes ont quantité d’occasions d’agresser l’humanité. Mais certaines leçons sont tirées de ces constats. Quelques-unes sont élémentaires et relativement simples à mettre en œuvre, comme l’usage unique des seringues hypodermiques. D’autres sont évidentes mais bien plus difficiles à appliquer: faire en sorte, par exemple, que les conseils de prévention dans les rapports sexuels soient effectivement suivis par les personnes exposées à des maladies transmissibles comme le sida.Détection précoce et mesures très rapides.

Comme face à toute menace, la vigilance constante pour repérer toute manifestation de maladie est cruciale. Dans son rapport sur l’épidémie de peste d’août 1994 en Inde, l’Institut indien des sciences médicales soulignait que ces résurgences de maladies infectieuses constituent un danger croissant au niveau mondial. «Il est essentiel de les détecter tôt et de prendre rapidement des mesures efficaces», estimaient les auteurs, qui préconisent la création de centres de surveillance nationaux pouvant servir de systèmes d’alerte avancée.

Nombre d’épidémies récentes nous adressent un grand message: nous devons absolument nous montrer beaucoup plus prudents dans nos rapports avec l’environnement et ses délicats écosystèmes. Ce principe simple a été longtemps envisagé par certains comme un vœu pieux. Mais passer outre risque aujourd’hui d’avoir un coût effarant: des millions de morts évitables. »


RD

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