samedi 7 juillet 2007
Les microbes tueurs du nouveau millénaire.
Auteur : Robert Matthews, chroniqueur scientifique du Sunday Telegraph, Londres.
Source :
http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/planete/intro.htm
« En bousculant les équilibres écologiques, l’intrusion humaine dans la nature peut déchaîner des maladies mortelles portées par des microbes longtemps laissés en paix.»
« Au début, ils semblaient souffrir d’une simple grippe: gros mal de tête, articulations douloureuses, fièvre. Mais il est vite apparu que ces dizaines d’ouvriers des mines d’or de Durba (nord-est de la République démocratique du Congo) étaient en proie à un mal bien plus grave. On ne sait comment, à la fin de 1998, ils étaient entrés en contact avec un agent infectieux terrifiant, qui attaquait l’ensemble de leurs organes internes et les faisait saigner de manière incontrôlable. En quelques mois, plus de 60 mineurs sont morts de la mystérieuse maladie. Leurs corps flasques, couverts de taches rouges, ont continué de saigner après la mort... Les médecins locaux n’avaient jamais vu ça et les experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne purent diagnostiquer d’emblée une cause certaine à cette hécatombe.
Beaucoup faisaient la même hypothèse: les mineurs avaient dû être contaminés par un «virus émergent» – un minuscule paquet de gènes tapi depuis des années, des millénaires peut-être, dans son foyer naturel, jusqu’au jour où l’humanité était fâcheusement venue le déranger. Le suspect de l’énigmatique maladie de Durba était un «filovirus», un virus en forme de fil, dont l’effet dévastateur sur le corps humain a été constaté pour la première fois il y a 30 ans.
En 1967, plusieurs dizaines de personnes travaillant dans des laboratoires allemands et yougoslaves tombèrent malades: les symptômes étaient étranges et similaires. Sept moururent, et beaucoup d’autres souffrirent de séquelles durables allant de l’impuissance à la démence. La source de l’infection fut repérée: un arrivage de singes importés d’Ouganda, dont beaucoup étaient morts pendant le voyage. On découvrit qu’ils étaient porteurs d’un filovirus, qui fut baptisé du nom d’une des villes allemandes où les premiers cas étaient apparus: Marburg. À ce jour, aucun remède n’a été trouvé. Si le système immunitaire de la victime ne peut combattre le virus, elle meurt. Tel est le sort de plus de 50% des contaminés.
Quand des bûcherons réveillent le virus de la suette…En mai 1999, l’OMS a confirmé les craintes générales: l’analyse du sang prélevé sur les mineurs révélait qu’ils avaient bien été contaminés par le filovirus Marburg. Selon certaines informations, la même maladie venait de se déclarer au Zimbabwe chez des soldats, dont des milliers étaient entrés en République démocratique du Congo pour soutenir le président Laurent-Désiré Kabila contre une insurrection rebelle. Heureusement, les analyses de sang de trois soldats présumés porteurs du filovirus se révélèrent négatives et, au début de l’été, l’épidémie avait cessé à Durba. Marburg s’était à nouveau évanoui dans la nature, replié dans son repaire. Mais où exactement? Nul ne le sait. Quelque part, un être vivant – une chauve-souris ou un rongeur peut-être – lui sert inconsciemment de refuge.
Il est clair que plus l’humanité multiplie ses incursions en territoire inviolé, plus elle risque une nouvelle rencontre avec ce filovirus, voire pire. Après plusieurs décennies durant lesquelles on a usé et abusé en toute insouciance des ressources naturelles de la planète, le risque de déranger de nouveaux agents pathogènes mortels doit désormais être pris au sérieux.
L’alerte a été donnée de longue date. En 1485 apparut une maladie que l’on nomma la suette: en 24 heures à peine, ses victimes passaient de soudaines suées à un état de prostration et à la mort. Elle frappa encore quatre fois avant de s’évanouir en 1551.
La suette a sévi en Angleterre, où elle a tué en tout 20 000 personnes, soit plus de 0,5% de la population de l’époque.De récentes recherches suggèrent que son apparition était liée à un phénomène étonnamment moderne: le déboisement. La date et l’extension géographique de la suette correspondent à la destruction massive des forêts du Shropshire, sur les frontières occidentales de l’Angleterre. Selon cette hypothèse, les bûcherons ont, d’une façon ou d’une autre, permis au virus responsable de la maladie de se répandre en dehors de l’être vivant qui lui servait d’hôte depuis d’innombrables générations, et ils l’ont mis en contact avec des populations assez nombreuses pour entretenir une épidémie.Ce scénario s’est répété maintes fois à notre époque.
En Argentine, après la Seconde Guerre mondiale, on a défriché de vastes étendues de pampas à l’herbicide pour les mettre en culture. L’équilibre naturel entre une espèce de rat des champs et ses prédateurs s’en est trouvé perturbé: les effectifs de cette espèce se sont considérablement accrus. Au début des années 50, les gens commencèrent à tomber malades: fièvres, vomissements, maux de tête, parfois suivis d’une hémorragie et d’une mort atroce. La cause fut finalement découverte, à savoir un virus inconnu jusque-là, Junin, porté par les rats des champs.
Même enchaînement en Bolivie, lorsque des agriculteurs désirant produire du maïs ont défriché des bandes de jungle sur les rives du fleuve Machupo. D’étranges et horribles décès se sont produits. On en a trouvé la cause: un autre virus hémorragique (baptisé bien sûr Machupo), porté, lui aussi, par les rats des champs.Enfin, au début de l’année 1999, certaines données ont permis de lier aux campagnes de déboisement l’essor de la plus notoire de toutes les maladies émergentes: le sida.
Selon un article publié en février dans la revue Nature par une équipe internationale de chercheurs, l’hôte naturel du VIH-1, le virus mortel qui contamine aujourd’hui plus de 30 millions de personnes dans le monde, est le chimpanzé Pan troglodytes. Tués pour leur viande par des chasseurs au service des compagnies forestières, ces grands singes sont massacrés par milliers chaque année dans des conditions idéales pour la transmission des virus. D’après cette recherche toute récente, le virus VIH-1 a été introduit dans les villes par de la viande contaminée destinée aux restaurants, et par les chasseurs eux-mêmes, puis s’est répandu par transmission sexuelle dans le monde entier. A ce jour, plus de 12 millions de personnes sont mortes du sida, dont 80% en Afrique noire.Le mépris souverain pour les complexités des écosystèmes peut prendre d’autres formes – tout aussi dangereuses – que la destruction de territoires vierges.
C’est, par exemple, aux efforts de reboisement du XIXe siècle en Amérique du Nord-Est que l’on doit l’apparition récente de la maladie de Lyme: cette infection bactérienne potentiellement mortelle des articulations, du cœur et du cerveau est transmise aux humains par les tiques des cerfs.
Pour combattre le déboisement provoqué par l’agriculture intensive, les autorités locales ont lancé des programmes de reboisement et de protection des forêts. Ils ont créé un paysage attrayant à la fois pour les êtres humains, les cerfs et les ixodes scapularis, une tique portée par le cerf et qui porte elle-même borrelia burgdorferi, la bactérie responsable de la maladie de Lyme. Ne rencontrant guère de prédateurs naturels dans le nouvel écosystème, le cerf a proliféré, et ses contacts se sont multipliés avec les gens qui ont investi la région, exaltés par sa beauté apparemment «naturelle». Vers le milieu des années 70, les premiers cas de la maladie portée par la tique furent constatés chez des habitants d’Old Lyme, dans le Connecticut.
Le même enchaînement s’est produit depuis en Europe, en Asie et en Australasie. Des dizaines de milliers de cas de la maladie de Lyme sont signalés dans le monde entier chaque année.Tuberculose, diphtérie, choléra et paludismeLe retour d’un certain nombre d’anciennes maladies mortelles que l’on croyait vaincues constitue une autre preuve des dangers de l’autosatisfaction.
La tuberculose, pratiquement éliminée en Occident par l’amélioration des conditions de logement et par les médicaments, revient depuis le milieu des années 80: elle fait chaque année dans le monde plus de 3 millions de morts.
Beaucoup d’experts accusent l’usage laxiste des antibiotiques par les médecins occidentaux, qui a permis à des bacilles mutants de la tuberculose de créer des souches résistantes. Dans les pays en développement, l’épidémie du sida, en privant des dizaines de millions de personnes de leur système immunitaire face aux maladies, a multiplié par trois les cas de tuberculose au début des années 90.
Durant les derniers jours de l’Union soviétique, la diphtérie, autre maladie bactérienne des poumons qui frappe particulièrement les jeunes enfants, y était pratiquement inconnue. En 1998, environ 40 000 cas ont été signalés, essentiellement chez les pauvres et les sans domicile fixe qui ont afflué dans les grandes villes, après l’effondrement de l’URSS et de son système de santé.Au début des années 90, le choléra est revenu en Amérique latine après un siècle d’absence.
Les spécialistes pensent que cette maladie mortelle intestinale, d’origine bactérienne, a sans doute été importée d’Asie par des bateaux, dans l’eau qu’ils ont rejetée de leurs ballasts. En 1900, on ne signalait quasiment aucun cas sur le continent américain; aujourd’hui, il y en a environ 60 000 par an. La mondialisation du commerce ne nous a pas seulement facilité l’accès aux produits exotiques de pays lointains...Mais, de toutes les maladies résurgentes, c’est le paludisme (aussi appelé malaria) qui fait le plus de ravages, bien que l’on ait cru l’éradiquer.
L’optimisme initial était né de l’usage de la DDT dans les pays en développement, afin de tuer les moustiques porteurs du parasite qui le provoque. Introduite après la Seconde Guerre mondiale, la DDT a sauvé en 10 ans cinq millions de vies. En 1948, le Sri Lanka avait 2,8 millions de cas de paludisme; en 1963, avec la DDT, 17 cas. Mais, à la fin des années 50, des données ont laissé penser que la DDT persistait dans les sols et parvenait à remonter la chaîne alimentaire, avec un effet mortel sur certaines formes de vie.Bien que certains spécialistes commencent à contester ces données (en particulier leur pertinence pour les pays du Sud), la DDT fait aujourd’hui l’objet d’une interdiction mondiale. Les moustiques s’en portent très bien.
Au Sri Lanka, de 17, le nombre des cas de paludisme est remonté à 2,5 millions cinq ans seulement après l’abandon de la DDT. Au niveau mondial, les chiffres sont atterrants: 400 millions de cas par an, et près de deux millions de morts – dont 90% en Afrique.En mars 1999, le Dr Gro Harlem Brundtland, directrice générale de l’OMS, a spécifiquement cité le paludisme comme l’exemple d’un tueur pandémique susceptible de profiter d’une autre menace à l’environnement: le réchauffement de la planète, provoqué par les pollutions d’origine humaine. Le Dr Brundtland a fait remarquer que le paludisme est aujourd’hui signalé à plus haute altitude que précédemment, sur les plateaux du Kenya par exemple. Elle admet que cette évolution a sans doute plusieurs causes, mais elle estime que l’une d’entre elles est le réchauffement de la planète.
La hausse du niveau de la mer, essentiellement due à l’expansion thermique de l’eau induite par ce réchauffement, constitue, selon elle, une autre menace. «Si les systèmes de protection du littoral ne sont pas renforcés, une hausse de 50 centimètres du niveau de la mer en 2100 exposerait 80 millions de personnes à être inondées plus d’une fois par an, contre 46 millions dans les conditions actuelles, explique-t-elle. L’arrivée de vagues de réfugiés dans des deltas et des îles déjà surpeuplés encouragerait des maladies comme la diphtérie et la diarrhée. La hausse des nappes phréatiques le long des côtes pourrait aussi faciliter l’introduction d’agents pathogènes dans les réseaux d’égouts et les cours d’eau.» On craint de plus en plus que la mer ne constitue déjà une menace plus insidieuse pour la santé:
l’humanité s’est servie des océans de la planète comme de gigantesques décharges. Un rapport de la Banque mondiale de 1993 estimait qu’environ 30% de la population mondiale ne dispose d’aucun autre réseau d’évacuation des déchets que les rivières, les fleuves et la mer. Pratiqué pendant des années, le déversement d’une telle quantité d’ordures commence à rétroagir sur la santé. On a trouvé des virus de maladies humaines comme la polio et l’hépatite dans des coquillages comestibles. Et les proliférations d’algues toxiques – vastes colonies d’organismes simples, riches en agents pathogènes, qui prospèrent sur les nutriments issus des déchets – deviennent toujours plus fréquentes le long des côtes.
Il est clair aujourd’hui que la mer fonctionne comme une chambre froide géante pour des microbes potentiellement mortels, (comme le rotavirus, responsable d’une forme grave de diarrhée, et le virus de la polio), qui émergent parfois pour ravager la terre ferme. En décembre 1992, des milliers de personnes sont mortes du choléra au Bangladesh à la suite d’une remontée d’eaux profondes dans l’océan chargée de bactéries, au large de la côte sud.
Du déboisement à la surpopulation, des migrations massives à la mondialisation, de la pollution de l’atmosphère à celle des océans, les maladies nouvelles et résurgentes ont quantité d’occasions d’agresser l’humanité. Mais certaines leçons sont tirées de ces constats. Quelques-unes sont élémentaires et relativement simples à mettre en œuvre, comme l’usage unique des seringues hypodermiques. D’autres sont évidentes mais bien plus difficiles à appliquer: faire en sorte, par exemple, que les conseils de prévention dans les rapports sexuels soient effectivement suivis par les personnes exposées à des maladies transmissibles comme le sida.Détection précoce et mesures très rapides.
Comme face à toute menace, la vigilance constante pour repérer toute manifestation de maladie est cruciale. Dans son rapport sur l’épidémie de peste d’août 1994 en Inde, l’Institut indien des sciences médicales soulignait que ces résurgences de maladies infectieuses constituent un danger croissant au niveau mondial. «Il est essentiel de les détecter tôt et de prendre rapidement des mesures efficaces», estimaient les auteurs, qui préconisent la création de centres de surveillance nationaux pouvant servir de systèmes d’alerte avancée.
Nombre d’épidémies récentes nous adressent un grand message: nous devons absolument nous montrer beaucoup plus prudents dans nos rapports avec l’environnement et ses délicats écosystèmes. Ce principe simple a été longtemps envisagé par certains comme un vœu pieux. Mais passer outre risque aujourd’hui d’avoir un coût effarant: des millions de morts évitables. »
RD
Source :
http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/planete/intro.htm
« En bousculant les équilibres écologiques, l’intrusion humaine dans la nature peut déchaîner des maladies mortelles portées par des microbes longtemps laissés en paix.»
« Au début, ils semblaient souffrir d’une simple grippe: gros mal de tête, articulations douloureuses, fièvre. Mais il est vite apparu que ces dizaines d’ouvriers des mines d’or de Durba (nord-est de la République démocratique du Congo) étaient en proie à un mal bien plus grave. On ne sait comment, à la fin de 1998, ils étaient entrés en contact avec un agent infectieux terrifiant, qui attaquait l’ensemble de leurs organes internes et les faisait saigner de manière incontrôlable. En quelques mois, plus de 60 mineurs sont morts de la mystérieuse maladie. Leurs corps flasques, couverts de taches rouges, ont continué de saigner après la mort... Les médecins locaux n’avaient jamais vu ça et les experts de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne purent diagnostiquer d’emblée une cause certaine à cette hécatombe.
Beaucoup faisaient la même hypothèse: les mineurs avaient dû être contaminés par un «virus émergent» – un minuscule paquet de gènes tapi depuis des années, des millénaires peut-être, dans son foyer naturel, jusqu’au jour où l’humanité était fâcheusement venue le déranger. Le suspect de l’énigmatique maladie de Durba était un «filovirus», un virus en forme de fil, dont l’effet dévastateur sur le corps humain a été constaté pour la première fois il y a 30 ans.
En 1967, plusieurs dizaines de personnes travaillant dans des laboratoires allemands et yougoslaves tombèrent malades: les symptômes étaient étranges et similaires. Sept moururent, et beaucoup d’autres souffrirent de séquelles durables allant de l’impuissance à la démence. La source de l’infection fut repérée: un arrivage de singes importés d’Ouganda, dont beaucoup étaient morts pendant le voyage. On découvrit qu’ils étaient porteurs d’un filovirus, qui fut baptisé du nom d’une des villes allemandes où les premiers cas étaient apparus: Marburg. À ce jour, aucun remède n’a été trouvé. Si le système immunitaire de la victime ne peut combattre le virus, elle meurt. Tel est le sort de plus de 50% des contaminés.
Quand des bûcherons réveillent le virus de la suette…En mai 1999, l’OMS a confirmé les craintes générales: l’analyse du sang prélevé sur les mineurs révélait qu’ils avaient bien été contaminés par le filovirus Marburg. Selon certaines informations, la même maladie venait de se déclarer au Zimbabwe chez des soldats, dont des milliers étaient entrés en République démocratique du Congo pour soutenir le président Laurent-Désiré Kabila contre une insurrection rebelle. Heureusement, les analyses de sang de trois soldats présumés porteurs du filovirus se révélèrent négatives et, au début de l’été, l’épidémie avait cessé à Durba. Marburg s’était à nouveau évanoui dans la nature, replié dans son repaire. Mais où exactement? Nul ne le sait. Quelque part, un être vivant – une chauve-souris ou un rongeur peut-être – lui sert inconsciemment de refuge.
Il est clair que plus l’humanité multiplie ses incursions en territoire inviolé, plus elle risque une nouvelle rencontre avec ce filovirus, voire pire. Après plusieurs décennies durant lesquelles on a usé et abusé en toute insouciance des ressources naturelles de la planète, le risque de déranger de nouveaux agents pathogènes mortels doit désormais être pris au sérieux.
L’alerte a été donnée de longue date. En 1485 apparut une maladie que l’on nomma la suette: en 24 heures à peine, ses victimes passaient de soudaines suées à un état de prostration et à la mort. Elle frappa encore quatre fois avant de s’évanouir en 1551.
La suette a sévi en Angleterre, où elle a tué en tout 20 000 personnes, soit plus de 0,5% de la population de l’époque.De récentes recherches suggèrent que son apparition était liée à un phénomène étonnamment moderne: le déboisement. La date et l’extension géographique de la suette correspondent à la destruction massive des forêts du Shropshire, sur les frontières occidentales de l’Angleterre. Selon cette hypothèse, les bûcherons ont, d’une façon ou d’une autre, permis au virus responsable de la maladie de se répandre en dehors de l’être vivant qui lui servait d’hôte depuis d’innombrables générations, et ils l’ont mis en contact avec des populations assez nombreuses pour entretenir une épidémie.Ce scénario s’est répété maintes fois à notre époque.
En Argentine, après la Seconde Guerre mondiale, on a défriché de vastes étendues de pampas à l’herbicide pour les mettre en culture. L’équilibre naturel entre une espèce de rat des champs et ses prédateurs s’en est trouvé perturbé: les effectifs de cette espèce se sont considérablement accrus. Au début des années 50, les gens commencèrent à tomber malades: fièvres, vomissements, maux de tête, parfois suivis d’une hémorragie et d’une mort atroce. La cause fut finalement découverte, à savoir un virus inconnu jusque-là, Junin, porté par les rats des champs.
Même enchaînement en Bolivie, lorsque des agriculteurs désirant produire du maïs ont défriché des bandes de jungle sur les rives du fleuve Machupo. D’étranges et horribles décès se sont produits. On en a trouvé la cause: un autre virus hémorragique (baptisé bien sûr Machupo), porté, lui aussi, par les rats des champs.Enfin, au début de l’année 1999, certaines données ont permis de lier aux campagnes de déboisement l’essor de la plus notoire de toutes les maladies émergentes: le sida.
Selon un article publié en février dans la revue Nature par une équipe internationale de chercheurs, l’hôte naturel du VIH-1, le virus mortel qui contamine aujourd’hui plus de 30 millions de personnes dans le monde, est le chimpanzé Pan troglodytes. Tués pour leur viande par des chasseurs au service des compagnies forestières, ces grands singes sont massacrés par milliers chaque année dans des conditions idéales pour la transmission des virus. D’après cette recherche toute récente, le virus VIH-1 a été introduit dans les villes par de la viande contaminée destinée aux restaurants, et par les chasseurs eux-mêmes, puis s’est répandu par transmission sexuelle dans le monde entier. A ce jour, plus de 12 millions de personnes sont mortes du sida, dont 80% en Afrique noire.Le mépris souverain pour les complexités des écosystèmes peut prendre d’autres formes – tout aussi dangereuses – que la destruction de territoires vierges.
C’est, par exemple, aux efforts de reboisement du XIXe siècle en Amérique du Nord-Est que l’on doit l’apparition récente de la maladie de Lyme: cette infection bactérienne potentiellement mortelle des articulations, du cœur et du cerveau est transmise aux humains par les tiques des cerfs.
Pour combattre le déboisement provoqué par l’agriculture intensive, les autorités locales ont lancé des programmes de reboisement et de protection des forêts. Ils ont créé un paysage attrayant à la fois pour les êtres humains, les cerfs et les ixodes scapularis, une tique portée par le cerf et qui porte elle-même borrelia burgdorferi, la bactérie responsable de la maladie de Lyme. Ne rencontrant guère de prédateurs naturels dans le nouvel écosystème, le cerf a proliféré, et ses contacts se sont multipliés avec les gens qui ont investi la région, exaltés par sa beauté apparemment «naturelle». Vers le milieu des années 70, les premiers cas de la maladie portée par la tique furent constatés chez des habitants d’Old Lyme, dans le Connecticut.
Le même enchaînement s’est produit depuis en Europe, en Asie et en Australasie. Des dizaines de milliers de cas de la maladie de Lyme sont signalés dans le monde entier chaque année.Tuberculose, diphtérie, choléra et paludismeLe retour d’un certain nombre d’anciennes maladies mortelles que l’on croyait vaincues constitue une autre preuve des dangers de l’autosatisfaction.
La tuberculose, pratiquement éliminée en Occident par l’amélioration des conditions de logement et par les médicaments, revient depuis le milieu des années 80: elle fait chaque année dans le monde plus de 3 millions de morts.
Beaucoup d’experts accusent l’usage laxiste des antibiotiques par les médecins occidentaux, qui a permis à des bacilles mutants de la tuberculose de créer des souches résistantes. Dans les pays en développement, l’épidémie du sida, en privant des dizaines de millions de personnes de leur système immunitaire face aux maladies, a multiplié par trois les cas de tuberculose au début des années 90.
Durant les derniers jours de l’Union soviétique, la diphtérie, autre maladie bactérienne des poumons qui frappe particulièrement les jeunes enfants, y était pratiquement inconnue. En 1998, environ 40 000 cas ont été signalés, essentiellement chez les pauvres et les sans domicile fixe qui ont afflué dans les grandes villes, après l’effondrement de l’URSS et de son système de santé.Au début des années 90, le choléra est revenu en Amérique latine après un siècle d’absence.
Les spécialistes pensent que cette maladie mortelle intestinale, d’origine bactérienne, a sans doute été importée d’Asie par des bateaux, dans l’eau qu’ils ont rejetée de leurs ballasts. En 1900, on ne signalait quasiment aucun cas sur le continent américain; aujourd’hui, il y en a environ 60 000 par an. La mondialisation du commerce ne nous a pas seulement facilité l’accès aux produits exotiques de pays lointains...Mais, de toutes les maladies résurgentes, c’est le paludisme (aussi appelé malaria) qui fait le plus de ravages, bien que l’on ait cru l’éradiquer.
L’optimisme initial était né de l’usage de la DDT dans les pays en développement, afin de tuer les moustiques porteurs du parasite qui le provoque. Introduite après la Seconde Guerre mondiale, la DDT a sauvé en 10 ans cinq millions de vies. En 1948, le Sri Lanka avait 2,8 millions de cas de paludisme; en 1963, avec la DDT, 17 cas. Mais, à la fin des années 50, des données ont laissé penser que la DDT persistait dans les sols et parvenait à remonter la chaîne alimentaire, avec un effet mortel sur certaines formes de vie.Bien que certains spécialistes commencent à contester ces données (en particulier leur pertinence pour les pays du Sud), la DDT fait aujourd’hui l’objet d’une interdiction mondiale. Les moustiques s’en portent très bien.
Au Sri Lanka, de 17, le nombre des cas de paludisme est remonté à 2,5 millions cinq ans seulement après l’abandon de la DDT. Au niveau mondial, les chiffres sont atterrants: 400 millions de cas par an, et près de deux millions de morts – dont 90% en Afrique.En mars 1999, le Dr Gro Harlem Brundtland, directrice générale de l’OMS, a spécifiquement cité le paludisme comme l’exemple d’un tueur pandémique susceptible de profiter d’une autre menace à l’environnement: le réchauffement de la planète, provoqué par les pollutions d’origine humaine. Le Dr Brundtland a fait remarquer que le paludisme est aujourd’hui signalé à plus haute altitude que précédemment, sur les plateaux du Kenya par exemple. Elle admet que cette évolution a sans doute plusieurs causes, mais elle estime que l’une d’entre elles est le réchauffement de la planète.
La hausse du niveau de la mer, essentiellement due à l’expansion thermique de l’eau induite par ce réchauffement, constitue, selon elle, une autre menace. «Si les systèmes de protection du littoral ne sont pas renforcés, une hausse de 50 centimètres du niveau de la mer en 2100 exposerait 80 millions de personnes à être inondées plus d’une fois par an, contre 46 millions dans les conditions actuelles, explique-t-elle. L’arrivée de vagues de réfugiés dans des deltas et des îles déjà surpeuplés encouragerait des maladies comme la diphtérie et la diarrhée. La hausse des nappes phréatiques le long des côtes pourrait aussi faciliter l’introduction d’agents pathogènes dans les réseaux d’égouts et les cours d’eau.» On craint de plus en plus que la mer ne constitue déjà une menace plus insidieuse pour la santé:
l’humanité s’est servie des océans de la planète comme de gigantesques décharges. Un rapport de la Banque mondiale de 1993 estimait qu’environ 30% de la population mondiale ne dispose d’aucun autre réseau d’évacuation des déchets que les rivières, les fleuves et la mer. Pratiqué pendant des années, le déversement d’une telle quantité d’ordures commence à rétroagir sur la santé. On a trouvé des virus de maladies humaines comme la polio et l’hépatite dans des coquillages comestibles. Et les proliférations d’algues toxiques – vastes colonies d’organismes simples, riches en agents pathogènes, qui prospèrent sur les nutriments issus des déchets – deviennent toujours plus fréquentes le long des côtes.
Il est clair aujourd’hui que la mer fonctionne comme une chambre froide géante pour des microbes potentiellement mortels, (comme le rotavirus, responsable d’une forme grave de diarrhée, et le virus de la polio), qui émergent parfois pour ravager la terre ferme. En décembre 1992, des milliers de personnes sont mortes du choléra au Bangladesh à la suite d’une remontée d’eaux profondes dans l’océan chargée de bactéries, au large de la côte sud.
Du déboisement à la surpopulation, des migrations massives à la mondialisation, de la pollution de l’atmosphère à celle des océans, les maladies nouvelles et résurgentes ont quantité d’occasions d’agresser l’humanité. Mais certaines leçons sont tirées de ces constats. Quelques-unes sont élémentaires et relativement simples à mettre en œuvre, comme l’usage unique des seringues hypodermiques. D’autres sont évidentes mais bien plus difficiles à appliquer: faire en sorte, par exemple, que les conseils de prévention dans les rapports sexuels soient effectivement suivis par les personnes exposées à des maladies transmissibles comme le sida.Détection précoce et mesures très rapides.
Comme face à toute menace, la vigilance constante pour repérer toute manifestation de maladie est cruciale. Dans son rapport sur l’épidémie de peste d’août 1994 en Inde, l’Institut indien des sciences médicales soulignait que ces résurgences de maladies infectieuses constituent un danger croissant au niveau mondial. «Il est essentiel de les détecter tôt et de prendre rapidement des mesures efficaces», estimaient les auteurs, qui préconisent la création de centres de surveillance nationaux pouvant servir de systèmes d’alerte avancée.
Nombre d’épidémies récentes nous adressent un grand message: nous devons absolument nous montrer beaucoup plus prudents dans nos rapports avec l’environnement et ses délicats écosystèmes. Ce principe simple a été longtemps envisagé par certains comme un vœu pieux. Mais passer outre risque aujourd’hui d’avoir un coût effarant: des millions de morts évitables. »
RD
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