dimanche 8 juillet 2007
Le clonage humain, bébé controversé de Dolly (Grande-Bretagne).
Auteur : David Dickson, chef des informations de la revue scientifique internationale Nature, auteur du livre The New Politics of Science (University of Chicago Press, 1988).
Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm
L’apparition du clonage humain à l’horizon du possible pose des problèmes inédits. Le débat le plus vif a lieu en Grande-Bretagne, patrie de la brebis clonée Dolly.
Lorsqu’en février 1997, le chercheur britannique Ian Wilmut et ses collègues annoncèrent qu’ils avaient réussi à cloner une brebis, Dolly, le monde entier s’inquiéta de la possibilité d’un clonage humain. Le gouvernement du Royaume-Uni, lui, afficha sa satisfaction: il assura que tout avait été prévu pour maîtriser les conséquences des travaux sur le clonage.
Aux commentaires des dirigeants politiques de toute la planète, qui estimaient nécessaire un moratoire mondial immédiat sur ce type de recherche, la Grande-Bretagne a en effet répondu que, chez elle, le clonage humain (création d’êtres humains adultes copiés sur d’autres) était déjà interdit par une loi adoptée en 1990, l’Human Fertilization and Embryology Act. En fait, cette loi autorise la recherche sur l’embryon humain jusqu’à 14 jours et elle avait semblé ouvrir la voie, sur le principe, au «clonage thérapeutique»1, soit la mise au point de toute une gamme de traitements médicaux potentiels, comme le remplacement ou la réparation d’organes et de tissus.
Le climat a changé en juin 1999, lorsque le gouvernement a refusé de suivre l’avis de l’instance de contrôle créée par la loi de 1990, la très respectée Human Fertilization and Embryology Authority, qui proposait d’amender la législation pour autoriser officiellement la recherche sur le clonage thérapeutique. Il a fait savoir qu’il lui fallait encore du temps pour en étudier la portée éthique.
Pour la Grande-Bretagne, le dilemme politique est rude. Certes, la technique de clonage mise au point par Ian Wilmut et ses collègues a été saluée comme une percée scientifique majeure, dont les nombreuses applications médicales potentielles allaient stimuler considérablement l’économie britannique (vente de brevets à des sociétés du monde entier notamment). De l’usage responsable du clonage
Mais, en ces temps où la confiance dans les experts scientifiques de l’État a été gravement compromise par l’affaire de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, la «maladie de la vache folle»), et s’est encore dégradée avec les inquiétudes sur les dangers potentiels des plantes génétiquement modifiées pour la santé et l’environnement, le gouvernement ne tenait pas à risquer à nouveau sa crédibilité en autorisant rapidement une autre technologie «révolutionnaire» et controversée.
La «production sur commande» d’êtres humains répliqués par clonage n’a guère de défenseurs. C’est le clonage thérapeutique, avec ses nombreuses applications médicales potentielles, qui se trouve au cœur du débat. Il pourrait servir, par exemple, à soigner les femmes chez qui l’ADN des mitochondries (le matériel génétique fournissant de l’énergie à la cellule) est endommagé, et qui risquent donc de transmettre cette déficience à leurs enfants. Ou à produire de la peau pour les greffes, alors qu’aujourd’hui on doit la prélever sur une autre partie du corps du patient. Ou encore à remplacer des cellules détériorées dans les os ou le foie.
Le problème est que le mot «clone» heurte vivement les sensibilités: il évoque immédiatement l’image du dictateur ou de la vedette qui commande sa propre reproduction à de multiples exemplaires. Le clonage est, aux yeux de ses adversaires, le comble de l’«instrumentalisation» de l’être humain, puisqu’il fait d’un individu un moyen d’en satisfaire un autre et non une fin en soi. Quant au distinguo entre «clonage reproductif» et «clonage thérapeutique», il leur paraît purement verbal: selon eux, autoriser le second conduira inévitablement au premier.
A l’opposé, cette même distinction est jugée cruciale par les ardents partisans d’une mise en œuvre complète des potentialités médicales du clonage, parmi lesquels Ian Wilmut: depuis deux ans et demi, il n’a cessé d’évoquer publiquement les perspectives ouvertes par ses travaux — leurs dangers comme leurs promesses. Il est aujourd’hui directeur scientifique de Geron Bio-Med, société fondée conjointement au début de 1999 par le Roslin Institute et une compagnie américaine de biotechnologie, Geron, afin d’exploiter ses découvertes.
Pour Ian Wilmut (et beaucoup d’autres), le clonage humain pose d’épineux problèmes d’identité et de rapports humains, en particulier au sein de la famille: «Nous pouvons tous imaginer, dit-il, ce qui risquerait de se passer si un enfant cloné naissait dans notre foyer. Pensez par exemple aux difficultés qu’il aurait s’il ne répondait pas aux attentes de ses parents — cas fort probable, puisque la personnalité n’est qu’en partie seulement déterminée par le patrimoine génétique».
Mais Ian Wilmut insiste aussi sur les bienfaits considérables qu’on peut attendre des techniques de clonage si on en fait un usage responsable: «Le potentiel de traitements plus efficaces est immense pour toute une gamme de maladies dues, comme celle de Parkinson, à des cellules endommagées qui ne peuvent plus se reproduire». Reconnaissant que le dilemme éthique posé est lourd, il se dit «très désireux de participer à toute discussion sur ce thème».
Les efforts pour obtenir des responsables politiques l’autorisation de mener des recherches sur le clonage thérapeutique se sont heurtés à de sérieux obstacles, l’un des principaux étant les pressions des mouvements anti-avortement, qui restent farouchement hostiles à toute forme de clonage. On l’a bien vu aux États-Unis, quand l’administration Clinton a présenté un projet de loi qui devait, simultanément, interdire le clonage reproductif et autoriser celui de l’embryon à des fins thérapeutiques. Début 1999, l’Institut national de la santé a fait savoir que, même si le Congrès lui interdisait de financer les recherches sur les embryons avec des fonds fédéraux, il avait décidé de parrainer un travail sur des cellules souches, fournies par le secteur privé et issues d’embryons non utilisés de la fécondation in vitro. (Les cellules souches sont des cellules indifférenciées à partir desquelles se développent des cellules spécialisées comme celles du sang). Le Congrès cherche actuellement comment colmater cette faille.
Le point de vue des adversaires américains du clonage est proche de celui qui a dominé les débats législatifs en Europe continentale, en particulier en France et en Allemagne: on insiste énormément sur les menaces potentielles pour la «dignité humaine». C’est d’ailleurs cette approche, associée à l’idée que la vie humaine commence dès la conception, qui a conduit la plupart des pays européens à interdire non seulement les essais de clonage humain, mais aussi toute recherche sur les embryons.
En revanche, l’approche des dirigeants britanniques (et américains) a été jusqu’à présent plus pragmatique: les dangers potentiels du clonage humain sont surtout à leurs yeux des risques médicaux, par exemple l’incertitude sur les possibles complications à long terme. Un «trou noir moral»
Une récente déclaration du gouvernement britannique semble cependant indiquer que sa position a évolué et qu’il entend désormais prendre en compte d’autres facteurs plus explicitement «éthiques». Cette évolution a été immédiatement saluée par les groupes de pression religieux, comme la Christian Action Research and Education. Dans des propos rapportés par le Times, son directeur Charles Colchester demande au gouvernement de veiller à ce que la nouvelle instance créée pour enquêter sur les techniques de clonage humain examine ce qu’il appelle le «trou noir moral» devant ce type de recherche.
La décision du gouvernement a été très critiquée par les chercheurs concernés. Robert Winston, qui enseigne le traitement de la stérilité à la Royal Postgraduate Medical School de Londres, a averti que, s’il ne revenait pas sur son choix, nombre des «meilleurs cerveaux» de Grande-Bretagne pourraient être tentés de quitter le pays afin de poursuivre leurs travaux ailleurs. «En brouillant le débat sur le clonage, a-t-il ajouté, le gouvernement prend le risque d’entraver l’un des plus importants progrès médicaux de la décennie.»
D’autres critiques sont venues de ceux qui ont hâte de voir le clonage donner lieu à des produits commercialisables. «La science britannique est aujourd’hui à l’avant-garde de ce domaine émergent», estime John Sime, président de la Bioindustry Association, l’organisation professionnelle du secteur biotechnologique au Royaume-Uni. Mais la concurrence est vive et l’enjeu énorme, tant pour les patients que pour l’économie.»
Certains restent optimistes, persuadés que ces recherches seront finalement autorisées. «Si ce qu’on dit du potentiel de ces nouvelles techniques pour soigner les maladies dégénératives est ne serait-ce qu’à moitié vrai, il serait immoral de ne pas poursuivre», estime Juliet Tizzard du Progress Educational Trust, organisation de soutien à la recherche sur les technologies de reproduction.
Le débat est loin d’être clos. La possibilité de produire des copies conformes d’êtres humains adultes inspire tant de fascination à certains — et de répulsion à d’autres — qu’il est clair que, quels que soient les bienfaits médicaux potentiels de la recherche sur le clonage, ses partisans auront bien du mal à obtenir l’autorisation d’aller de l’avant.
1) NDLR: cette technique, encore balbutiante, fait intervenir le développement d’un ovule qui sera ensuite détruit.
RD
Source : http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm
L’apparition du clonage humain à l’horizon du possible pose des problèmes inédits. Le débat le plus vif a lieu en Grande-Bretagne, patrie de la brebis clonée Dolly.
Lorsqu’en février 1997, le chercheur britannique Ian Wilmut et ses collègues annoncèrent qu’ils avaient réussi à cloner une brebis, Dolly, le monde entier s’inquiéta de la possibilité d’un clonage humain. Le gouvernement du Royaume-Uni, lui, afficha sa satisfaction: il assura que tout avait été prévu pour maîtriser les conséquences des travaux sur le clonage.
Aux commentaires des dirigeants politiques de toute la planète, qui estimaient nécessaire un moratoire mondial immédiat sur ce type de recherche, la Grande-Bretagne a en effet répondu que, chez elle, le clonage humain (création d’êtres humains adultes copiés sur d’autres) était déjà interdit par une loi adoptée en 1990, l’Human Fertilization and Embryology Act. En fait, cette loi autorise la recherche sur l’embryon humain jusqu’à 14 jours et elle avait semblé ouvrir la voie, sur le principe, au «clonage thérapeutique»1, soit la mise au point de toute une gamme de traitements médicaux potentiels, comme le remplacement ou la réparation d’organes et de tissus.
Le climat a changé en juin 1999, lorsque le gouvernement a refusé de suivre l’avis de l’instance de contrôle créée par la loi de 1990, la très respectée Human Fertilization and Embryology Authority, qui proposait d’amender la législation pour autoriser officiellement la recherche sur le clonage thérapeutique. Il a fait savoir qu’il lui fallait encore du temps pour en étudier la portée éthique.
Pour la Grande-Bretagne, le dilemme politique est rude. Certes, la technique de clonage mise au point par Ian Wilmut et ses collègues a été saluée comme une percée scientifique majeure, dont les nombreuses applications médicales potentielles allaient stimuler considérablement l’économie britannique (vente de brevets à des sociétés du monde entier notamment). De l’usage responsable du clonage
Mais, en ces temps où la confiance dans les experts scientifiques de l’État a été gravement compromise par l’affaire de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB, la «maladie de la vache folle»), et s’est encore dégradée avec les inquiétudes sur les dangers potentiels des plantes génétiquement modifiées pour la santé et l’environnement, le gouvernement ne tenait pas à risquer à nouveau sa crédibilité en autorisant rapidement une autre technologie «révolutionnaire» et controversée.
La «production sur commande» d’êtres humains répliqués par clonage n’a guère de défenseurs. C’est le clonage thérapeutique, avec ses nombreuses applications médicales potentielles, qui se trouve au cœur du débat. Il pourrait servir, par exemple, à soigner les femmes chez qui l’ADN des mitochondries (le matériel génétique fournissant de l’énergie à la cellule) est endommagé, et qui risquent donc de transmettre cette déficience à leurs enfants. Ou à produire de la peau pour les greffes, alors qu’aujourd’hui on doit la prélever sur une autre partie du corps du patient. Ou encore à remplacer des cellules détériorées dans les os ou le foie.
Le problème est que le mot «clone» heurte vivement les sensibilités: il évoque immédiatement l’image du dictateur ou de la vedette qui commande sa propre reproduction à de multiples exemplaires. Le clonage est, aux yeux de ses adversaires, le comble de l’«instrumentalisation» de l’être humain, puisqu’il fait d’un individu un moyen d’en satisfaire un autre et non une fin en soi. Quant au distinguo entre «clonage reproductif» et «clonage thérapeutique», il leur paraît purement verbal: selon eux, autoriser le second conduira inévitablement au premier.
A l’opposé, cette même distinction est jugée cruciale par les ardents partisans d’une mise en œuvre complète des potentialités médicales du clonage, parmi lesquels Ian Wilmut: depuis deux ans et demi, il n’a cessé d’évoquer publiquement les perspectives ouvertes par ses travaux — leurs dangers comme leurs promesses. Il est aujourd’hui directeur scientifique de Geron Bio-Med, société fondée conjointement au début de 1999 par le Roslin Institute et une compagnie américaine de biotechnologie, Geron, afin d’exploiter ses découvertes.
Pour Ian Wilmut (et beaucoup d’autres), le clonage humain pose d’épineux problèmes d’identité et de rapports humains, en particulier au sein de la famille: «Nous pouvons tous imaginer, dit-il, ce qui risquerait de se passer si un enfant cloné naissait dans notre foyer. Pensez par exemple aux difficultés qu’il aurait s’il ne répondait pas aux attentes de ses parents — cas fort probable, puisque la personnalité n’est qu’en partie seulement déterminée par le patrimoine génétique».
Mais Ian Wilmut insiste aussi sur les bienfaits considérables qu’on peut attendre des techniques de clonage si on en fait un usage responsable: «Le potentiel de traitements plus efficaces est immense pour toute une gamme de maladies dues, comme celle de Parkinson, à des cellules endommagées qui ne peuvent plus se reproduire». Reconnaissant que le dilemme éthique posé est lourd, il se dit «très désireux de participer à toute discussion sur ce thème».
Les efforts pour obtenir des responsables politiques l’autorisation de mener des recherches sur le clonage thérapeutique se sont heurtés à de sérieux obstacles, l’un des principaux étant les pressions des mouvements anti-avortement, qui restent farouchement hostiles à toute forme de clonage. On l’a bien vu aux États-Unis, quand l’administration Clinton a présenté un projet de loi qui devait, simultanément, interdire le clonage reproductif et autoriser celui de l’embryon à des fins thérapeutiques. Début 1999, l’Institut national de la santé a fait savoir que, même si le Congrès lui interdisait de financer les recherches sur les embryons avec des fonds fédéraux, il avait décidé de parrainer un travail sur des cellules souches, fournies par le secteur privé et issues d’embryons non utilisés de la fécondation in vitro. (Les cellules souches sont des cellules indifférenciées à partir desquelles se développent des cellules spécialisées comme celles du sang). Le Congrès cherche actuellement comment colmater cette faille.
Le point de vue des adversaires américains du clonage est proche de celui qui a dominé les débats législatifs en Europe continentale, en particulier en France et en Allemagne: on insiste énormément sur les menaces potentielles pour la «dignité humaine». C’est d’ailleurs cette approche, associée à l’idée que la vie humaine commence dès la conception, qui a conduit la plupart des pays européens à interdire non seulement les essais de clonage humain, mais aussi toute recherche sur les embryons.
En revanche, l’approche des dirigeants britanniques (et américains) a été jusqu’à présent plus pragmatique: les dangers potentiels du clonage humain sont surtout à leurs yeux des risques médicaux, par exemple l’incertitude sur les possibles complications à long terme. Un «trou noir moral»
Une récente déclaration du gouvernement britannique semble cependant indiquer que sa position a évolué et qu’il entend désormais prendre en compte d’autres facteurs plus explicitement «éthiques». Cette évolution a été immédiatement saluée par les groupes de pression religieux, comme la Christian Action Research and Education. Dans des propos rapportés par le Times, son directeur Charles Colchester demande au gouvernement de veiller à ce que la nouvelle instance créée pour enquêter sur les techniques de clonage humain examine ce qu’il appelle le «trou noir moral» devant ce type de recherche.
La décision du gouvernement a été très critiquée par les chercheurs concernés. Robert Winston, qui enseigne le traitement de la stérilité à la Royal Postgraduate Medical School de Londres, a averti que, s’il ne revenait pas sur son choix, nombre des «meilleurs cerveaux» de Grande-Bretagne pourraient être tentés de quitter le pays afin de poursuivre leurs travaux ailleurs. «En brouillant le débat sur le clonage, a-t-il ajouté, le gouvernement prend le risque d’entraver l’un des plus importants progrès médicaux de la décennie.»
D’autres critiques sont venues de ceux qui ont hâte de voir le clonage donner lieu à des produits commercialisables. «La science britannique est aujourd’hui à l’avant-garde de ce domaine émergent», estime John Sime, président de la Bioindustry Association, l’organisation professionnelle du secteur biotechnologique au Royaume-Uni. Mais la concurrence est vive et l’enjeu énorme, tant pour les patients que pour l’économie.»
Certains restent optimistes, persuadés que ces recherches seront finalement autorisées. «Si ce qu’on dit du potentiel de ces nouvelles techniques pour soigner les maladies dégénératives est ne serait-ce qu’à moitié vrai, il serait immoral de ne pas poursuivre», estime Juliet Tizzard du Progress Educational Trust, organisation de soutien à la recherche sur les technologies de reproduction.
Le débat est loin d’être clos. La possibilité de produire des copies conformes d’êtres humains adultes inspire tant de fascination à certains — et de répulsion à d’autres — qu’il est clair que, quels que soient les bienfaits médicaux potentiels de la recherche sur le clonage, ses partisans auront bien du mal à obtenir l’autorisation d’aller de l’avant.
1) NDLR: cette technique, encore balbutiante, fait intervenir le développement d’un ovule qui sera ensuite détruit.
RD
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