dimanche 8 juillet 2007

 

Dieu, la génétique et l’embryon.

Auteure : Sophie Boukhari, journaliste au Courrier de l’UNESCO.

Source :
http://www.unesco.org/courier/1999_09/fr/dossier/intro01.htm


De l’Église catholique au bouddhisme, en passant par l’islam, le judaïsme et le protestantisme, les religions réagissent de façon plus ou moins dogmatique aux avancées de la science.


Après le sexe des anges, c’est l’âme des embryons qui divise les théologiens. Mais cette fois, le débat déborde largement la chrétienté et concerne des êtres de chair et de sang. «Bien que la pratique religieuse diminue, estime Jean-François Mattéi, généticien et député français, la question métaphysique reste au fond des interrogations suscitées par le génie génétique, soit par tradition, soit par culture, soit par obligation.»

Peut-on recourir au dépistage prénatal (DPN) et envisager une interruption de grossesse quand une grave anomalie génétique est décelée? Faut-il permettre la recherche sur l’embryon, les thérapies géniques et le clonage? Pour toutes les religions du Livre (christianisme, judaïsme, islam), la réponse découle pour une bonne part du statut de l’embryon: la question de savoir s’il est animé ou pas trace une frontière mouvante entre le bon et le mauvais génie génétique. «Si l’embryon possède une âme, il passe d’une vie biologique à une vie humaine et toute atteinte à son intégrité est considérée comme un crime, résume René Frydman, généticien français auteur de « Dieu, la médecine et l’embryon » (Éditions Odile Jacob, Paris, 1997). S’il est inanimé, l’interdit reste— il faut respecter la vie accordée par Dieu — mais la faute est moins grave.»Le « front du refus »

L’Église catholique se distingue à bien des égards. Elle dispose tout d’abord d’un magistère unique, là où les autres religions ont une approche de proximité: discussion avec le rabbin pour les juifs, le pope pour les orthodoxes, le maître pour les bouddhistes, etc. De plus, les autres confessions se divisent en courants (juifs libéraux ou orthodoxe, bouddhismes en tous genres, etc.) ou en écoles juridiques (malékite, hanafite, chaféite, hanbalite pour l’islam sunnite, par exemple). Enfin et surtout, si toutes les grandes religions posent le principe général du respect de la vie et de la dignité humaine, l’Église de Rome est la seule à respecter l’embryon «comme une personne humaine dès le moment de sa conception», et à camper sur sa doctrine.

Le pape Jean-Paul II l’a rappelée à plusieurs reprises, notamment dans les encycliques «Veritatis Splendor» (1993) et «Evangelium Vitae» (1995). Il en découle une succession d’interdits: non au DPN s’il peut déboucher sur un avortement, non à la plupart des recherches et des thérapies sur l’embryon... La papauté s’oppose aussi au clonage — reproductif et thérapeutique. Elle dénonce cette fois la violation du principe d’unicité de la personne et du sacro-saint lien entre sexualité et procréation.

Les positions des chrétiens orthodoxes sont très proches de celles du Vatican. Mais le «front du refus» des technologies du génome s’arrête là. Pour l’islam et le judaïsme, ce qui compte est le respect de la filiation, et le moment où l’embryon acquiert une vie propre. Le Coran des musulmans énonce dans la sourate 23-12: «Nous avons créé l’être humain d’un extrait d’argile (nufta) puis d’une goutte déposée dans un réceptacle sûr, puis nous avons fait de cette goutte une adhérence (alaqa), puis nous avons créé l’adhérence en un embryon (mudhgha), puis nous l’avons couvert d’os et de muscles, enfin nous avons fait une tout autre création».

Mais pour certains musulmans, il se passe 40 jours avant que l’esprit (ruh) ne soit insufflé à l’embryon et pour d’autres 120 jours. Du coup, si le DPN est accepté, la question de l’avortement divise. Selon H’mida Ennaifer, de l’Institut supérieur de théologie de Tunis, «les juristes musulmans sont unanimes à condamner l’avortement après que le fœtus a reçu le souffle de vie. Certains malékites le condamnent même si l’enfant a moins de 40 jours alors que d’autres écoles le tolèrent pendant les quatre premiers mois de la grossesse». L’islam admet par ailleurs les thérapies géniques somatiques. Mais il proscrit (en général) la modification des cellules germinales et tout ce qui nie le principe de la création divine, à commencer par le clonage. Reste que pour une minorité de juristes, le clonage serait dans certains cas préférable à un «adultère génétique» car il permettrait de respecter la filiation: il éviterait à un couple stérile de recourir à un tiers donneur de gamètes dans le cadre d’une procréation médicalement assistée.

Les juifs invoquent quant à eux le Talmud. «Au moment de la traversée miraculeuse de la mer Rouge, même les embryons dans le ventre de leur mère ont chanté la gloire de Dieu», dit le Talmud de Babylone. «Si les embryons peuvent chanter la gloire de Dieu, c’est qu’ils ont une âme et une conscience», commente-t-il. Après le quarantième jour, précise le Talmud: avant, l’embryon n’est «que de l’eau».
Pour se conformer à la halakha (la loi juive), il est donc préférable de pratiquer le DPN avant le quarantième jour. Au-delà, l’avortement n’est permis que si la santé de la mère est en danger. Dans les faits, tout dépend de l’interprétation des rabbins. Pour certains, si la mère fait une dépression nerveuse en apprenant qu’elle porte un enfant atteint d’une pathologie incurable, l’avortement est licite, même après 40 jours. D’autres sont beaucoup plus stricts.

Quant aux expérimentations sur l’embryon, elles sont autorisées, en particulier s’il n’a pas de chance de vivre. Le judaïsme n’exclut pas non plus tout clonage, estime le juriste et théologien français Raphaël Braï. «S’il y a un usage thérapeutique de cette technique, il faut en discuter collectivement. Sur ce point, plusieurs principes religieux entrent en concurrence: par exemple, l’unicité de la personne et l’obligation de se soigner.» Sauf exception, le clonage reproductif est en revanche écarté.

Les chrétiens protestants sont, en général, encore plus ouverts aux progrès de la génétique. Mettant l’accent sur le libre arbitre, ils considèrent chaque cas comme particulier et en appellent au seul jugement du couple. «Il y en a qui admettent le DPN suivi d’un avortement si la femme en décide ainsi, explique Carlos de Sola, chef de l’unité bioéthique du Conseil de l’Europe, qui a organisé des consultations d’autorités religieuses. Il y en a même qui acceptent que l’on puisse choisir le sexe de son futur enfant par sélection du sperme, afin de fonder une famille comportant à la fois des filles et des garçons». Les Églises réformées approuvent la recherche sur l’embryon — à condition qu’elle soit strictement encadrée. Elles ne ferment pas non plus la porte au clonage — tout en rejetant ses applications mercantiles et eugéniques.

Le dogme est encore plus étranger au bouddhisme, qui pose que toute vérité est relative. Comme l’explique le spécialiste français Raphaël Liogier, «la seule limite éthique, c’est la souffrance. Le Bouddha est un thérapeute avant tout». Pour le Dalaï-Lama, leader des bouddhistes tibétains, il faut «considérer principalement quels peuvent être les bienfaits et les méfaits des manipulations génétiques». Il estime admissible qu’elles servent à «améliorer le corps humain, par exemple le cerveau». «Le corps physique n’est qu’un support pour le karma (les actes, et les conséquences de ces actes, qui peuvent remonter à de lointaines existences passées, en vertu de la théorie de la réincarnation), ajoute R. Liogier. S’il a été travaillé génétiquement ou cloné, à la limite, cela n’a pas d’importance. En revanche, l’avortement est à éviter car il détériore le karma.» Mais là encore, tout est relatif et l’essentiel est d’éviter la souffrance. Selon le Dalaï-Lama, «l’avortement est autorisé dans le cas d’une mère enceinte qui risquerait sa vie lors de l’accouchement ou qui donnerait naissance à un enfant très handicapé».

D’une infinie variété, la palette des réponses religieuses aux questions de bioéthique est en perpétuelle recomposition, si l’on excepte la raideur doctrinale du Vatican et les crispations des intégristes de toutes les confessions. Face à des problèmes qui renvoient à l’origine et au sens même de la vie, estime René Frydman, «le discours religieux semble pouvoir être d’un grand secours, pour autant qu’il rappelle les valeurs fondatrices de notre humanité sans prétendre les imposer, qu’il se présente comme un lieu de questionnement et non comme un corpus de dogmes».


RD

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